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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Pour Falardeau


Article publié sur mon site web (toute première version, en Wordpress) le 26 septembre 2009. Je le reprends ici, sur mahigan.com, aujourd'hui le 22 août 2017.

 

Et dans la même journée que l'autre, la jeune, au soir plutôt, elle au matin, parce que tu étais vieux, toi, crépusculaire presque. Et toi non, tu n'aurais pas fait cela, tu te battais contre, le suicide long de ce que tu appelais le peuple. Et tes mots et tes phrases étaient vieilles et croches, pas de patine ni glacis. Me souviens de cette émission de télé dont tout le monde parle et que je ne regarde plus, où je t'avais vu ainsi que la jeune. Et c'étaient deux mondes qui s'entrechoquaient, le dégoût de l'autre en soi ou le dégoût de soi-même. Tes anticorps à toi dirigés vers l'autre, et les siens à la jeune contre elle-même. Sur ce plateau les questions tendancieuses qu'on te posait, qui disaient toutes pareil «Ferme ta gueule». Et pourtant toi avec le sourire, et pourquoi fermer ta gueule, déjà que la leur c'est assez non. La leur et celle de tout le monde, tout le monde qui en parle. Ou sinon l'ouvrir pour dire des bêtises, comme ce frisé embauché strictement pour cela, dire des bêtises. Et quand tu avais parlé du glacis qui recouvrait aujourd'hui le monde, personne sur le plateau pour comprendre, le frisé avait repris : «Le glacis!», en pouffant. Rien compris. Qui maintenant pour parler du glacis comme tu le faisais? C'est vrai que tu parlais seulement de ce que tu connaissais, quitte à radoter tant pis, mais c'est mieux que ces opinionnistes qui en ont sur tout. Tu n'étais que parole, tu n'étais que langue, tu mâchais ton dégoût du renoncement, tu mastiquais l'anglais en nous. Tu avais appris les leçons de Gaston Miron. Qui après toi, qui après vous pour se rappeler les leçons de Gaston Miron? Que répondre quand on vous dit «Bon matin», quand on vous distord la syntaxe et que rien ne sert d'essayer de convaincre que c'est par là qu'on s'écrase. Ta parole ne voulait pas convaincre le frisé ou le barbu sur le plateau de «Radio-Cadenas», comme tu disais. Non, ta parole voulais mâcher et c'est tout, mâcher et mastiquer, il faut voir avec quelle lenteur de ruminant tu prononçais les mots et les sacres. Ta parole valait pour elle-même, et tant pis pour les millions de spectateurs qui se suicidaient lentement devant leur téléviseur, et moi avec. À preuve, regarde le monde que tu laisses, le glacis recouvre tout et on ne le voit même plus. Tu étais archaïque, comme il en faut dans un monde mal vieilli. Qui aujourd'hui pour rappeler qu'on meure à petit feu, qu'au moins cela nous soulage de l'entendre dire, quand d'ordinaire on le subit bouche et yeux fermés. Tu parlais, tu n'étais pas cinéaste, tu n'étais pas poète : tu n'étais qu'un parleur, un mâcheur. Oui tu remâchais, et de plus en plus à mesure que le monde confirmait tes dires. Et on te reprochait de remâcher, et on te reprochait d'encore exister. Et toi tu étais là, sur le plateau de Radio-Cadenas, le même où s'installait la jeune aux seins et aux lèvres gonflés, dégoûtée d'elle-même jusqu'au suicide prochain. Et personne pour faire le lien entre la jeune et toi, les seins siliconés et le vieux grincheux. Personne pour entendre dans tes paroles la catastrophe qui menaçait, qui figeait cette pauvre fille dans la pose, elle dont les lèvres gonflées essayaient pourtant de dire la souffrance d'avoir renoncé, d'être traversée. Le glacis n'évoquait rien dans les têtes du frisé et du barbu, qui voyaient pourtant le visage verni de la fille. Et qui aujourd'hui pour dire la chute d'une époque, quand le même jour d'hier la jeune se suicide et toi tu meurs au combat d'un cancer, tes propres cellules retournées contre toi-même : trop d'anticorps, trop. Tu es mort de ton combat contre l'autre en toi. Et qu'est-ce qui reste pour nous au-devant: dimanche prochain à la télévision le barbu parlera de toi avec des phrases toutes faites.

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