Projet «Mégapoles d’Asie». Notes préliminaires
Article publié sur mon ancien site (mahigan.ca) le 29 avril 2013, avec cette brève intro :
«Notes en vrac, juste pour tenter de m’expliquer avec l’anxiété du projet qui naît. Le premier voyage approche : le 17 mai, je m’envole vers Manille, Philippines.»
C’est un projet que j’avais imaginé il y a plus d’un an, avant de partir en Asie, dont je ne connaissais encore d’expérience que le Népal : une exploration de mégapoles asiatiques qui aurait pris la forme d’un site ou d’une section dédiée de ce site même, mahigan.ca. J’avais envoyé une demande de bourse au Conseil des arts du Canada (CAC), le jury avait recommandé mais non subventionné le projet, faute de fonds suffisants.
Je ne mettrai pas le libellé exact du projet en ligne, parce qu’il a déjà mal vieilli. Normal, c’était un projet. J’ai quelque difficulté technique avec la notion de projet en écriture. À l’université, on nous demandait toujours de monter des projets, avec hypothèse, problématique, etc. Pour moi, l’écriture échappe à cela : elle ne part pas du déjà-connu, du savoir. Elle est imprévisible.
J’ai reçu il y a quelques semaines, soit un an après soumission du projet, une nouvelle inattendue du CAC : des fonds sont devenus disponibles, si mon projet n’est pas encore commencé ou avancé on pourrait m’accorder une bourse pour le mener à bien. Impossible de refuser, d’autant plus que j’avais l’intention de rester encore au moins un an en Asie, j’étais d’ailleurs en train de me chercher un boulot d’enseignant du français en Chine.
Ce sera donc cela, mon travail, et c’est une chance, même s’il y a la pression de réaliser quelque chose. Ce sera une exploration de mégapoles asiatiques. Et cela se fera au moyen d’outils multimédias et d’Internet. Autrement dit : il y aura utilisation de la photo, de la vidéo, d’enregistrements sonores. L’écriture d’entrée mise en rapport avec l’image et le son, d’entrée engagée dans le geste de publication sur Internet.
Ce sont les seuls paramètres que j’ai à respecter. Les mots-clés : mégapoles, Asie, multimédia, Internet. Sinon, le projet peut bien sûr évoluer, sans pour autant se renier complètement. Il y a heureusement de la place pour la sérendipité.
Ce qui a changé, aussi, c’est que je vis et voyage en Asie depuis un an bientôt. L’Asie est de moins en moins une idée et de plus en plus une expérience mobilisable. Je n’ai pas visité de très très grandes villes, de celles qu’on appelle des mégapoles, à part Bangkok. Mais j’ai visité beaucoup de villes et pas mal de pays en Asie du Sud-Est (7, je crois). Je sais mieux les difficultés de l’exploration. Je sais ses rituels aussi. Je sais un peu à quoi peuvent ressembler de grandes mégapoles comme Jakarta ou Manille, pour être allé à Bangkok et à Phnom Penh. Ces villes abritent des populations extrêmement nombreuses, mais elles n’ont pas l’organisation des grandes mégapoles des pays riches du Nord. Leur développement obéit aux principes de l’accumulation et de l’étendue, avec structuration restreinte dans certaines zones limitées.
On ne peut approcher ces ensembles comme Régine Robin (Mégapolis) a approché New York, Paris, Londres, Los Angeles ou Tokyo. Difficile de «flâner» dans Bangkok, il fait si chaud, une simple marche est une aventure. Ce sont d’autres genres de monstres. Je ne crois pas que j’irai à Séoul ou Tokyo, pour l’instant en tout cas aucun voyage n’y est prévu. Il faut choisir, et je choisis les monstres levants. Ceux qui grossissent, ceux qui montent. Ceux dont le développement est plus rapide ou bousculé. On parle beaucoup de l’Asie qui monte, de la Chine et de l’Inde, et même maintenant de l’Asie du Sud-Est qui signe des pactes commerciaux avec les É.-U. Les forces économiques ont des effets sur le sensible des villes. Quelle sensation de la ville ressort de ces poussées de croissance subites?
J’ai prévu trois voyages qui me feront traverser l’essentiel des plus grandes mégapoles asiatiques, à l’exception des coréennes et des japonaises. Premier voyage, très bientôt, billets achetés, du 17 mai au 14 juin : Manille aux Philippines et Jakarta en Indonésie. Deuxième voyage, en septembre : Beijing et Shanghai en Chine. Troisième voyage, probablement en novembre-décembre : Delhi, Mumbai et Kolkata en Inde et peut-être aussi Dacca au Bangladesh. Évidemment, mes voyages déborderont ces villes. La ville est de toute façon une question, un chemin-vers, et possible que mon projet prenne la forme de «routes» : routes des mégapoles, routes des monstres levants.
Dans mes cogitations, la notion d’«orientation» repasse souvent. Comment on commence à structurer une ville, quelque immense qu’elle soit, dès qu’on y met pied, par des processus d’orientation. Avec les limites et ratés qu’imposent bien sûr l’excessif des mégapoles. Comment on apprend à poser tel immeuble comme repère. Comment on utilise des cartes, y compris Google Maps. Comment on pose des lignes sur la ville. Comment chaque ville impose une petite forme, un dessin particulier, mais ce dessin même est propre à chaque expérience particulière, en partie du moins. Les cartes et les chemins, voilà ce qui m’intéresse. Quand ça se rapporte à des grandes villes bousculées, qu’est-ce que ça change ? Trouve-t-on l’Asie à travers ces processus? C’est ce qu'on voudrait dire aussi, par s’orienter : se faire Orient, trouver l’Orient. Mais c’est comme question, tentative ou chemin seulement.
Parce qu’à travers la notion d’orientation je peux rejoindre l’échelle individuelle. Seulement là je vois la possibilité d’avancer dans ce projet excessif. Si je parle de démesure, je reste dans l’abstraction, dans les chiffres, je ne vois pas de prise. L’orientation, et la perte qui lui est coextensive, me donnent des prises. Et me permettent d’en appeler à mon expérience des voyages de l’année qui vient de s’écouler. Après tout, Hanoï, Saïgon, Rangoon ou Jakarta, Mumbai, c’est pareil. Ce qui compte, c’est la possibilité d’une perte, et donc ce besoin d’orientation, cette recherche qui touche à la peur et au besoin. Besoin d’ordre, dans le désordre. Besoin de mesure, dans la démesure. Besoin de se retrouver, dans la perte. Peut-on abattre en soi suffisamment de freins pour faire à plein l’expérience de l’excès et de la perte? Les mégapoles amplifient tout cela, c’est tout ce que je leur demande.
Le titre du projet n’est pas encore arrêté. Ce sera peut-être Excès d’Asie.
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