Parution de _Big Bang City : voyages en mégapoles d'Asie_
2016.
Addendum, 21 août 2018 : Big Bang City paraît au Québec le 6 septembre chez Leméac Éditeur dans la collection «Nomades»; si vous vivez en Amérique du Nord, c'est l'édition Leméac qui est en vente. Pour les Européens, c'est l'édition Publie.net.
Vient de paraître aux Éditions Publie.net, dans la collection "La Machine ronde" : Big Bang City : voyages en mégapoles d'Asie.
Ce livre imaginé juste avant de partir en Asie, en 2012, voilà qu'il paraît tout juste après que j'en suis revenu, fin 2015. Beaucoup, beaucoup d'expériences, en trois ans et demi d'Asie, dans tous les domaines du vivre – mais dans le domaine du livre, c'est Big Bang City qui pèse le plus lourd dans mes bagages rapportés.
Livre qui n'est que la trace d'une épreuve. Voyager et écrire – voyagécrire – dans les mégapoles d'Asie a été très difficile. C'est en cela, que j'assume ce livre, que je le porte et le rapporte. À quoi pensaient les explorateurs, en écrivant les récits de leurs périples? En les publiant? Au réel derrière. À l'épreuve. Ils ne tiraient pas fierté du récit en soi, mais de l'exploration amont que ce récit indiquait et réinventait. Par là, ils se différenciaient des romanciers. Même chose ici, à une différence près : la moitié de l'épreuve a été le voyage, l'autre moitié l'écriture.
Big Bang City reste un récit d'exploration. J'y tiens. C'était le désir à l'impulsion du projet. Le vieux genre du voyage (comme Nerval, Voyages en Orient) réinventé pour les villes contemporaines, et avec les outils de captation d'aujourd'hui (téléphone pour les photos, le son, la vidéo, tablette+clavier pour écrire et publier).
Les villes immenses d'Asie. Les nouveaux monstres levants : Manille, Jakarta, Beijing, Shanghai, Kolkata, Delhi, Mumbai, Bangkok. Ils sont la terra incognita de notre temps. On y passe, on y vit, mais on ne les explore pas. Pas assez. J'ai décidé de les arpenter. Et d'essayer d'en rapporter des merveilles.
J'ai écrit Big Bang City dans les villes même, au jour le jour. Maintenant, grâce à Publie.net, c'est devenu un livre dont on peut mesurer le poids. Un gros livre de 480 pages. Un bouquin qui porte l'expérience de lecture de notre époque d'images et de web : beaucoup de photos, des liens vers de l'audio et de la vidéo. Merci à Roxane Lecomte pour la création graphique, à Guillaume Vissac pour le travail édito, à Christine Jeanney pour la correction.
Et merci, enfin, à Sébastien Ménard pour la préface, que je reproduis ci-dessous.
Préface, par Sébastien Ménard
Big Bang City, c’était d’abord une expérience double, celle du voyage et celle de l’écriture. En 2012, à travers son blog, nous avons vu Mahigan organiser son départ, se préparer au nomadisme, et enfin quitter Montréal. Puis c’était l’Asie. Les articles apparaissaient sur le blog, des mots, des images. Nous l’avons suivi. Il y eut des hésitations, des sites ouverts puis laissés de côté, des notes de voyage, des réflexions. Des abandons sans doute aussi. De nombreuses pistes ouvertes : le chantier de l’écriture.
Puis tout est monté en puissance à la fin du printemps 2013 : le projet des « mégapoles d’Asie » allait débuter en mai. Ou plutôt, disons qu’après une phase préparatoire, sa réalisation concrète, pratique, commençait, le compte à rebours de la performance était lancé. Qu’on entende parler de l’explosion des villes d’Asie ne suffit pas ; il faut voir, arpenter, dire. Le projet serait donc de parcourir et écrire huit mégapoles : Manille, Jakarta, Beijing, Shanghai, Kolkata, Delhi, Mumbai et Bangkok. Avec pour seule et unique contrainte d’écrire chaque jour et de publier les textes immédiatement sur le web.
Performance littéraire, expérience web, Big Bang City est à la fois la trace et le récit de cela, tout autant que le compte fait de joies et épuisements qui en sont conséquences :
Voyager est épuisant. Écrire aussi. Je me suis donné pour défi d’écrire en voyageant, et ce n’est pas de tout repos. Ceci n’est pas une plainte, mais la mise en réflexion de mon travail in progress. La contrainte que je me suis donnée, d’écrire chaque jour du voyage, rend l’écriture et le corps interdépendants.
On ne sait pas ce qui pousse à cette rigueur déterminée. Pourtant, convaincre de le considérer comme un geste ordinaire, labeur de qui va le monde, l’écrivant :
Je dois m’en tenir à la continuité du travail, m’y atteler comme les tireurs de tana richshaw s’attèlent à leur cabriolet.
Big Bang City est tissé de cette écriture qui parfois hésite, se questionne et doute puis file, alterne les tubées de langue et les réflexions, et s’affine au fil de l’avancement du projet. Suivre l’évolution de la langue et de l’invention sémantique à travers les textes, des premières publications aux suivantes, est fascinant et ne trompe pas. Les formes du blog et les outils que s’était choisis Mahigan entraînent prises de note, photographies, vidéos, enregistrements audio… À la fois carnet et témoignage, le matériel qu’il ramène de ses explorations confirme ce qu’il remarque lui-même : l’impossibilité parfois de dire ou transmettre, qu’il s’agisse d’une odeur ou d’une révolte par exemple. En même temps, l’obstination révèle le geste éternellement tenté, l’invention d’une langue qui ne baisse pas les armes si facilement, jusque dans ses derniers retranchements :
Assez parlé, la ville croasse, quarks, quarks, quarks.
Mahigan sait des techniques et approches de la ville. Il en fait liste à plusieurs reprises. Avec lui, il emporte des textes, reparcourt des concepts, des modèles, les discute et surtout se confronte au réel :
les échangeurs — rouler dessus ne compte pas, ni même en dessous, sous la protection de l’habitacle… il faut marcher, comme nu, sous le béton, pour en prendre la pleine mesure
Son choix, justement, c’est de ne pas avoir une méthode. Simplement aller les villes, les mégapoles. Traverser un aéroport et filer vers un quartier lointain. Parcourir des passerelles métalliques. Arpenter un boulevard sans nom, à travers taxis et poussières. Découvrir le terminus d’une ligne de métro. Chercher en vain des lieux imaginés, trouver l’excès, la folie, s’autoriser à crier la vision des corps écrasés du Capital, marcher pieds nus dans les eaux des villes, tomber malade, écrire dans les Starbucks, chercher des mots et une langue. Finalement, peut-être que de cet éclatement, du dénombré, se constituerait un espace de représentation du réel.
Tout au long du texte, on entend à la fois la voix du marcheur et celle de celui qui écrit. C’est un rythme étrange et fascinant, qui oscille entre la pensée et la langue, s’autorisant le surgissement :
Partout, la ville tend au nivellement. Il n’y a vraiment ici que la rue. Les marcheurs, les étendus. Les taxis, les rickshaws. Les chiens et les pigeons. La boue. Les pieds nus et les gougounes. À ras le sol.
Et c’est ce qui fait de ce livre un road book exaltant : rien ne semble prévu, si ce n’est justement la possibilité de l’imprévisible au sein de la ville et de la langue. Cette langue qui glisse, à l’image des mégapoles que l’auteur arpente. Et on se plaît à imaginer la transposition des villes nombres, dépassant leur propre structure, à la langue.
Car Mahigan n’est pas parti les mains vides, et si son sac semble étrangement léger (le voyageur sait l’importance de la légèreté), il porte en lui les mots des autres comme des morceaux de langue dont ne sait se détacher :
Quand on a pris l’habitude de faire usage du monde — un défaut qui affecte presque tous les êtres du dedans, ceux qui ont entrepris de questionner le monde, tant et tant qu’ils finissent par croire que le réel ne sert qu’à cela (« comme c’est boutiquier, écrit Bouvier, ce désir de tirer parti de tout, de ne rien laisser perdre ») —, quand on a chopé cette manie, il importe parfois de s’imposer des répits pour s’en reposer un peu.
Pour qui aurait suivi l’écriture au fil de sa publication (en ceci, l’expérience est aussi un renversement du genre road book), ou pour celui qui découvre pour la première fois le livre finalement constitué, la surprise semble la même : l’apparition d’un irrésistible et étrange désir de continuer la lecture, le fil, étonnamment mêlé au désir d’aventure.
J’aime dire de ce texte qu’il est le jazz d’un arpenteur des villes, des mégapoles et du réel. Mahigan note :
Le réel seul m’occupe, et il est formidable.
puis complète, et c’est imparable :
gardons au mot ses deux sens intriqués, la catastrophe et la splendeur
Photos : Sébastien Ménard.