Mon nuage de gouttelettes
C'est à scooter sur la route de Pai. Dans les montagnes du Nord Thaïlande. On va, on va. Sur son Honda PCX 150 cc. Poignées grippantes. Automatique. Les courbes, les courbes. Aux abords, ça jungle. Ça tropique, ça palme. On est haut, très haut sur les montagnes du Nord Thaïlande. Sur son Honda PCX 150 cc. Noir mat rayé de rouge. Sous la chaleur qui écrase. La moiteur qui suspend. L'air. Le temps. Honda PCX 150 je te conduis. Je te chevauche. Derrière-moi la belle passagère. Les shorts de jeans garrottent les cuisses. Hug, hug. La joie en filées noires de jais. De sous le casque. On libre, on libre.
Plus haut, plus haut. Courbes, lacets à-pic. Plus haut, grimpe, grimpe. Plein gaz. Très alt, très altitude. Près les nuages. Tombe la chaleur. Frais, l'air frais, au-dessus du moite. Hisse, on se – hisse. Les palmes tombent. La jungle s'effondre. Et viennent les pins. Les pins, les pins. On les sent, les pins. Comme les forêts de Gaspésie. Une pinède. Sur les montagnes du Nord Thaïlande. Dans le frais des pics nuage. Naaawww, on dit. Il fait froid! On aime ça, le froid.
Plateau, et on redescend. Et la jungle regagne. Et la chaleur. L'air immobile. Ça palme, ça palme. Ça gorge, ça brousse. Courbe, courbe. On roule à gauche comme des Anglais. Crains qu'un jour un camion ne t'écrase. Serre, serre. Négocie. Klaxonne avant les passes. Gauche, droite. Cante, cante. Viens, le camion, viens. Camionne, camion. Gronde, que je te dépasse. Crains qu'un jour le risque ne te vienne – plus.
Descends, descends. Et là soudain. Virage, virage, et soudain. Dans la descente, entre deux courbes. Entre deux paliers de route vertige. En pleine jungle couverte sous palme. En suspens... ce nuage. Vois, vois ce nuage. Tu n'as jamais rien vu de tel. Un nuage, de gouttes grosses, en suspension. Pas une brume, non. Une ondée. Suspendue là. À portée de doigts. Entre deux airs. Entre deux couches de chaud et froid. Vois, vois. Des gouttelettes. Ne bouge pas. Un nuage, un minuscule petit nuage de vraies gouttes. Qui ne tombe pas. Au-dessus des palmes, le ciel qui bleu. Le soleil caresse les palmes, et pourtant. Ce nuage. Vrai de vrai, je ne mens pas. Il flotte. On pourrait l'attraper.
Je voudrais lui dire, à la passagère : il y a un nuage de gouttes, juste là, en suspension au-dessus de nos têtes. Pas une brume, non. Un nuage. Une ondée. On y passerait les doigts. J'ai mon casque, visière baissée. On roule, elle n'entendrait pas. À qui le dire. Qui, le passer. File, file entre les doigts. Mon nuage. Mon nuage de gouttelettes. Je jure qu'il y avait un nuage. Et qu'on aurait pu y passer les doigts. En recueillir les gouttes, comme des perles. Là dans l'air. Mon nuage. Mon nuage de gouttelettes. Sur la route de Pai. Dans le Nord Thaïlande...