top of page
Photo du rédacteurMahigan Lepage

L'écriture comme marathon. Ateliers au Cégep de Rimouski


2017.

 

À l'invitation du prof Jean Simard, j'ai été parrain d'honneur du Marathon d'écriture intercollégial au Cégep de Rimouski. C'était le week-end dernier, les 3 et 4 mars. J'ai repris la route, la 20, pour une énième fois.

Rimouski, j'y retourne souvent. J'ai vécu au Bic de 96 à 2000. J'ai fait mon cégep à Riki, et j'en garde de bons souvenirs. Beaucoup de découvertes, de premières fois. C'est là, au Cégep de Rimouski, que j'ai redécouvert la littérature vers l'âge de 18 ans (je n'avais pas lu grand-chose depuis les Jules Verne de mes 13, 14 ans). Les profs apportaient un livre, un Beckett, un recueil de Gérald Godin, et c'était comme si tout était là. Comme si ça valait de s'intéresser à ce livre entièrement. Comme s'il suffisait. Était un monde.

Je me souviens encore de certains phrases que des profs du cégep m'ont dites. Lucien Simon qui m'avait lancé : « J'en ai vu passer des génies ici. » Juste ça. Ça m'a pris du temps avant de comprendre ce qu'il voulait dire : qu'avoir du génie, ça ne suffit pas. Que la plupart n'en font rien. Qu'il faut travailler. Qu'il faut faire. Je me souviens aussi d'un propos du prof Jean-Marc Bélanger : « Attention à l'isolement. Parfois c'est dans la relation qu'on apprend et qu'on trouve. »

Une belle émotion de revenir entre ces murs comme auteur, pour transmettre un peu de la pratique de l'écriture aux cégépiens d'aujourd'hui.

Le marathon, c'est des jeunes qui acceptent de passer 24 heures à écrire. Ils ne prennent que de courtes pauses. Ils ont des ateliers et des plages d'écriture libre. En gros, ils produisent presque un texte à l'heure – un récit ou un poème d'une page ou deux. C'est donc une épreuve difficile. Ça demande de la ténacité, il faut lutter contre la fatigue. Juste pour ça, je leur dis bravo. Ils l'ont fait. La plupart se sont rendus jusqu'au bout, en traversant la nuit. Il faisait froid dehors, et leur espace d'écriture était comme une bulle, un espace protégé où écrire. Quand on traversait la salle, le silence étonnait. La concentration. Même après vingt heures d'épreuve, ils tâchaient encore d'écrire.

 

J'ai donné deux petits ateliers d'une heure. J'en laisse une trace ici.

Atelier 1 : la ville étrangère, à partir de Georges Perec

Arriver dans une ville qu'on ne connaît pas. Surtout la première fois, quand on est jeune.

J'ai écrit là-dessus avant même de lire Espèce d'espace. Parce que le sentiment m'était puissant. Dans Espèce d'espace, Perec le résume. En dit l'importance. Ce qui se passe, dans notre tête, quand on débarque à l'aéroport. Quand on prend le taxi vers le centre. Quand on apprivoise la ville. Quand on se perd. Quand on marche pendantn des heures pour rejoindre ce qui est tout près. Quand on réalise finalement notre erreur. Quand notre carte mentale se précise petit à petit. Ça semble banal – justement. C'est important, dans notre monde, où on migre vers les villes, où on est souvent touristes. On n'a pas assez exploré cet espace-là – sauf Perec, il l'a fait. Ou plutôt : il a ouvert des pistes. À nous après de nous y engager, de les développer.

En préparation de l'atelier, quel plaisir j'ai eu à relire Espèce d'espace. Ça faisait des années, et aujourd'hui du sens s'ouvre pour lequel je n'étais pas prêt il y a sept ou huit ans, quand je l'ai lu pour la première fois. C'est un livre incroyable, qui déplie tout ce qui se passe dans notre tête dans la pratique du monde contemporain (par exemple, qui ne s'est jamais demandé ce qu'il y a chez le voisin, sur le mur mitoyen qu'on partage, de l'autre côté? et quel renversement quand on va chez le voisin et qu'on voit ce mur pour la première fois).

Aux étudiants : allez donc chercher Espèce d'espace à la biblio. S'il n'y est pas, sommez le bibliothécaire du cégep de l'acheter au plus vite. Filez-lui l'ISBN (le code pour retracer le livre) : 2-7186-0550-2. C'est son boulot, de garnir la biblio.

Exprimer l'exaspération, à partir de Jean-Louis Kuffer

Je n'avais pas pensé à ce mot, «exaspération». C'est une étudiante qui l'a employé, et il est juste.

On a travaillé à partir des Ceux qui de Jean-Louis Kuffer. Écrire des phrases qui toutes commencent par «ceux qui», «celle qui», etc. On peut aller en lire sur son blog. Il y a aussi ce livre aux éditions publie.net : Ceux qui songent avant l'aube. Chaque phrase est indépendante de celles qui la précède et la suit, quoiqu'il puisse y avoir une veine ou un élan qui établit une continuité.

Ça n'a pas forcément à être exaspéré – ça ne l'est pas toujours, chez Kuffer, déjà. Ça peut être doux, aussi. Mais j'ai choisi de mettre l'accent sur la colère, simplement pour pouvoir parler de ça, qui me semble essentiel. Que la colère doit s'exprimer. Il n'y a rien de pire qu'une colère rentrée, contenue, disait Cioran. «Sachez exploser!» Que si la colère, ou l'exaspération, s'exprime au-dehors, dans le geste, elle est délinquance ou criminalité. Mais «tout est permis en dedans», comme disait Louis-Ferdinand Céline. Les Ceux qui permettent de cracher ce qu'on ressent des types sociaux (ceux qui, celles qui), de pousser un soupir salutaire. C'est bien mérité. Et ça fait du bien. En plus, ça crée une forme d'écriture particulière. Ni poésie, ni prose continue. Une forme scandée, profératoire.

Après l'écriture, beaucoup d'étudiants ont lu leurs Ceux qui. Il y a eu du rire, et pas que. Certains Ceux qui étaient si touchants – ceux, par exemple, de ce gars venu de Gaspé.

Aux profs : je recommande Comment écrire au quotidien pour préparer vos ateliers. Il y a plein de pistes là-dedans, dont Kuffer.

 

Après le second atelier, et la discussion sur la colère, j'ai vraiment senti que j'avais capté l'attention des étudiants. Certains m'ont remercié, m'ont exprimé leur intérêt. Parfois, tout ce qu'il faut, c'est une phrase. Comme celles de mes vieux profs.


Debout sur la photo : Alex (j'oublie le nom de famille?), le gagnant national du marathon de cette année. Il écrit si bien. Et il n'est pas le seul. J'ai lu beaucoup de textes forts. Ça donne espoir : la langue se porte bien. Alex veut étudier à l'université pour devenir prof de français.

bottom of page