Rafraîchir l'ours. Quête collective d'une figure du territoire
2017.
Il est temps de parler d'un projet collectif qui se prépare depuis quelques mois : le Projet ours (appelons-le simplement comme ça, pour l'instant). L'an dernier, le Conseil des arts du Canada a lancé un programme spécial pour le 150e anniversaire de la confédération, et on a décidé d'essayer d'en profiter. On a déposé une demande fin octobre 2016 et... on a eu la subvention! On l'a appris en avril. Le programme s'appelle Nouveau chapitre, et notre Projet ours est l'un des quelque 200 projets qui ont été retenus. :)
Je ne sais plus trop d'où m'est venue l'idée. L'envie, peut-être, au retour de l'Asie, de renouer avec la forêt, le territoire. Et puis, je l'avais vu rôder, l'ours, dans les écrits de Sébastien Ménard et Laure Morali, que j'ai invités à participer au projet. Tout le monde a un certain rapport à l'ours. C'est une figure rassembleuse. On a aussi invité Marie-Andrée Gill, après lecture de son beau recueil de poèmes Frayer. Le projet l'a tout de suite appelée : elle a, elle aussi, un rapport à l'ours, et aussi une relation très forte avec le territoire.
Quatre poètes, donc : j'assume le mot dans son sens ancien. Et aussi une photographe-vidéaste, Anna Lupien, qui est aussi sociologue, auteure d'un livre sur les femmes et le cinéma. Une belle équipée de fabricants de mots et d'images, prête à entreprendre une grande quête de l'ours sur les territoires.
J'ai vraiment le sentiment que la vision du projet est partagée et cohérente. Il y a une compréhension, comme facile, qui donne l'impression que ce projet devait être et qu'il aura sa cohérence. Ce qu'on fera? On partira à la recherche de l'ours. Le mot recherche, ici, est peut-être même plus important qu'ours. On rêvera l'ours, on cherchera l'ours, et on ira en quête de la bête lumineuse sur les territoires.
L'ours, en soi, est un animal territorial – mieux, un animal-territoire. Il est associé au sol, aux terres, aux glaces et à l'humus – et même, à notre époque, à la planète entière, puisqu'on pense immédiatement à lui, à son extinction même, quand on parle des «changements climatiques». C'est une figure, surtout, placée haut dans l'imaginaire. Pour les Innus, me dit Marie-Andrée Gill, c'est «notre grand-père à tous». Un animal sans prédateurs, bien sûr, l'ours – même l'humain se sent petit et incertain, devant lui, et c'est cela qui appelle, il me semble.
Combien de mythes traditionnels il y a, sur l'ours. Mais aujourd'hui? Il est temps de rafraîchir notre vision de l'ours. Il est temps de rafraîchir l'ours, comme on dit des pages web qu'on refresh. On est nés dans les années 70, 80, 90, et on veut revoir le mythe, repoétiser la figure, dans le monde d'aujourd'hui, avec ses villes, ses routes, ses formes propres.
Je dis la quête, mais ce sera en fait une multiplicité, à l'image de notre temps. On sera une équipée, oui, mais une équipée éclatée sur une pluralité de territoires, reliés seulement par la co-présence sur les réseaux – on utilise Slack, une plateforme de chat et de co-travail, pour rester en contact, communiquer nos idées, nos projets et nos textes. Chacun a choisi un territoire (ou des territoires) selon ses affinités et ses expériences propres. Laure Morali explorera les légendes de l'ours en Bretagne, mais elle retournera surtout sur les territoires de chasse traditionnels innus où elle a déjà hiverné. Sébastien Ménard compte aller dans les Pyrénées, là où survivent les derniers ours de France. Marie-Andrée Gill a l'intention d'explorer quatre territoires, de l'été au printemps – un par saison –, dans une traque qui la conduira jusqu'au Nord. Anna retournera sans doute dans le Grand Nord québécois, où elle est déjà allée, et aussi sur d'autres territoires, pour accumuler une matière visuelle (photo et vidéo) qui dialoguera avec nos textes.
L'arme secrète du projet enfin, dont je n'ai pas encore parlé, c'est Gwen Catalá, créateur web de feu. Quand on aura des textes, des photos, des vidéos, et aussi des pistes sonores de nos lectures, Gwen mettra tout ça dans sa marmite et concoctera un site web ours qui proposera une expérience neuve tout en restant lié étroitement au livre papier qui paraîtra. Le livre aura son pendant web, et vice versa, et tout ça culminera dans un spectacle poésie, image et chant, en septembre 2018.
Et moi? Je pars au Yukon. Le Yukon a toujours été une sorte de territoire rêvé pour moi. Pas l'Ouest, mais le Nord-Ouest, tout là-haut : le bout du territoire, entre l'Arctique et le Pacifique. Les aurores boréales. Le soleil qui se couche à peine. Les montagnes, les fleurs d'été. Le mythe de Christopher McCandless, en Alaska – mythe que j'ai beaucoup creusé à une époque, il y a 5 ou 6 ans. Et le père qui a toujours dit qu'un jour, il irait vivre au Yukon.
C'est le territoire de l'ours pour vrai. Il y en a beaucoup, ours noirs ou grizzlys (et même, si je monte jusqu'à Inuvik, dans les Territoires-du-Nord-Ouest, des ours polaires).
Je pars le 29 juin, dans un peu plus de deux semaines, pour un gros mois tout rond. Je prends l'avion jusqu'à Edmonton. Là, je loue une moto, et je prends la route, direction Whitehorse. En solitaire. Il y a quelque chose d'un vieux mythe cowboy, dans la chevauchée motorisée en solitaire. La moto, c'est d'abord un transport individuel, comme le cheval. Pas plus grand que ce que les besoins d'une personne réclament. J'aurai ma tente, mon sac de couchage, un brûleur et quelques casseroles. Je pars en moto-camping. Je serai dehors pendant tout un mois – dehors sur la moto, dehors au bord du feu et sous la tente. C'est ce que je veux. Être dans les éléments. Dans les paysages. Là où la terre et la rosée et la vie. Là où l'ours.
Je publierai des mises à jour du Projet ours ici même, sur mon blogue, au moins une fois par saison. Suivez-moi sur Facebook ou sur Instagram pour la suite du voyage; j'essaierai d'y microbloguer du Yukon en juillet.
Et pour ceux qui ont lu le billet jusqu'au bout, voici, en prime, une photo de la bécane qui me portera sur les territoires du Nord-Ouest :