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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Vie dehors, vie dedans & compagnie


Un mois déjà, jour pour jour, en terre lanna du Nord Thaïlande. Je mesure mieux combien mon rapport au pays a changé depuis que j'y ai mis les pieds pour la première fois, il y a cinq ans. À peine si je retourne dans l'ancienne ville, le centre touristique – quel Montréalais passe son temps dans le Vieux-Montréal, à moins d'y travailler? Je ne suis pas un Thaï, ne le serai jamais (ici, on reste un invité), mais je suis heureux de voir que mes amis thaïs me considèrent un peu comme un des leurs. Je croyais que, après deux ans à Montréal, mon thaï allait être très rouillé, mais non, c'est l'inverse, ces deux années de repos ont été bénéfiques. J'apprends des nouveaux mots à grand rythme, je lis de plus en plus : j'ai le sentiment de franchir un cap. Et puis, je passe plus de temps avec des Thaïs, maintenant, et certains ne me parlent qu'en thaï. Ils ont des mots qui me réchauffent le cœur. Ici, je suis Mii, l'ours. Phi Mii, ou Luuk Mii. Qu'on m'ait donné un nom thaï (rare pour un farang), et que tout le monde le reprenne et l'adopte, n'est pas sans signification. Il y a beaucoup d'amour, ici, et un peu moins d'ego.

 

On vit dehors. Dans ma chambre (pas vraiment un appart), je dors et c'est presque tout. Fini la domesticité. Je travaille dans les cafés; des cafés magnifiques, comme le Thesis (photo ci-bas), avec son beau mobilier en bois massif, tables à plusieurs ou bureaux individuels, et de l'excellent café. Je travaille là, beaucoup. C'est que les journées sont très dégagées : pas à faire à manger (on mange dehors), peu ou pas de rendez-vous (tout s'improvise dans l'heure). Alors je travaille, je travaille, j'écris et je traduis. Et le soir, je m'installe souvent au Doggy Monster avec un livre – un minuscule débit d'alcool où traînent deux ou trois chiens avec des gueules marrantes (c'est eux, les monstres). Je bois une Chang et je lis Virgile, et je suis bien et je suis content.

 

On vit dehors, et ça laisse d'autant plus de place à la vie intérieure. Ce qui manque, m'a toujours manqué ici, à différents degrés, c'est le partage de cette vie intérieure. Ce que Gabrielle Giasson-Dulude a appelé avant-hier sur Facebook la «compagnie» (un mot qui m'est très cher pour parler du rapport aux écrits, aux auteurs, et aux autres êtres du dedans – et ce mot est dans le sous-titre du dernier livre de Gabrielle). J'ai ici, en Thaïlande, des compagnies de cœur, mais encore peu de compagnies d'esprit. Ces échanges, ces partages entre êtres du dedans, sont rares ici (quand Gwen est là, ça enrichit déjà). Évidemment, il y a le web, et quoi qu'on en dise, il y a là une réelle possibilité d'échanges, qui n'est pas toujours assez exploitée. J'ai un projet qui mûrit depuis des années, et je sens que c'est tout près d'affleurer... Parce que ce qui nous apparaît comme une évidence (que s'inventent dans le présent des écritures sans genre, déliées des conventions et de toutes les verticalités), ne semble pas faire son chemin dans le champ élargi, où on continue à faire comme si de rien n'était. Alors prendre voix, exprimer ce qu'on veut exprimer, défendre ce qu'on veut défendre. À nous de dire.


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