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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Vietnam, autonomie, & hibernation


Dix jours au Vietnam. Un petit séjour, mais assez pour faire grand bien – et comprendre que c'est tout ce qu'il fallait, pour retrouver le calme des aubes, l'apaisement des jours, quand on s'est trop surmené pendant des mois. Comprendre que le voyage est nécessaire – non, je le redis, la Thaïlande n'est plus pour moi voyage, et depuis longtemps : elles sont bien mal placées, les jalousies qui entretiennent cette confusion. Débarquer au Vietnam, et même si ce n'est pas si différent, même si c'est toujours l'Asie du Sud-Est, juste ce léger décalage suffit à rafraîchir et la tête, et le regard. Je retrouve, oui, les mêmes choses que je vois ici, à Chiang Mai, au quotidien, mais soudain je les vois : les chargements improbables sur les scooters, les gens qui roulent à trois, à quatre sur une petite 110 cc, la profusion des marchés, les gros camions fumants... J'en ferai peut-être un billet, de ce voyage. Mais ce que j'ai à dire aujourd'hui, dans ce journal, c'est que : ça a réveillé la créativité. Je n'ai pas écrit, pendant ces dix jours, mais j'ai pris des notes sur mon téléphone, de toute cette matière qui n'appartient pas à un pays, mais à tant, mais au monde. J'ai de plus en plus envie et hâte de ce projet, que j'appelle maintenant Matière monde – au fil des mois, le titre s'est mesuré à beaucoup d'autres, et il a toujours fini par gagner la joute. Je comprends mieux maintenant, d'être allé au Vietnam, que le voyage est vraiment nécessaire à ce projet, pour cette raison simple : qu'il aiguise mon attention à cette matière que je trouve si belle, si puissante, et dont personne ou presque ne parle. Ce sera d'abord du web, et ce sera inachevé et inachevable, je crois. Ça chevauchera les frontières, sans en faire cas : ce n'est pas une question de culture, de pays, ni même de continent. Juste, travailler ces formes. Se frotter à ces matières. Dire dans l'admiration de ces gens, aussi. Pourquoi je m'en sens près? Est-ce que j'en ai même le droit? Peut-être parce que je viens de la terre grattée, d'un milieu de bricole, de débrouillardise, et de mépris de bien des lois (attacher sa ceinture? ne pas conduire saoul? devoir avoir un permis pour conduire une moto? pour vendre ceci ou cela? sur les Plateaux gaspésiens isolés des années 80, comme dans bien des endroits du Vietnam, du Laos, de la Birmanie d'aujourd'hui, beaucoup de choses se font sans qu'on demande permission). En tout cas, il faudra voyager, c'est l'idée : sans voyage, de toute façon, je ne pourrais pas avancer, pas à pas, vers cet inachèvement sans cesse repoussé. L'écriture qui justifie le voyage, qui justifie la vie de voyages, et qui justifie, à rebours, les choix faits, aussi difficile qu'il puisse être, parfois, de les assumer, surtout parce qu'ils engagent autre que moi : comment on pourrait les regretter, quand sans eux, on serait passé à côté de toute cette vie?

 

Lire une entrevue de Marie-Claire Blais, et se dire qu'on la comprend : d'être partie, de s'être faite sauvage, américaine, de ne sortir du bois que pour défendre ses livres, comme une ourse ses petits – et là encore, pas tant, pas trop, juste quelques entrevues, comme autant de coups de griffes, pas violents, non, mais affirmés, défendant un point de vue : celui de l'auteure, celui de l'ourse, que les humains croient comprendre, mais non, désolé, il n'y a encore que l'ourse pour dire ce que c'est, que d'être ourse (c'est une métaphore), et plus on se croit intelligent, distancé, critique (oh, ce qu'ils lui ont fait, sûrs de leur affaire, les critiques!), plus on manque la sauvagerie, et moins on sait. Ailleurs, elle dit : «Nous sommes des êtres autonomes.» Ce mot, «autonome» : qui ici pour le comprendre?

 

Il m'a fallu lire Rick Bass (The Book of Yaak) pour me rappeler ce fait simple : que l'ours hiberne d'octobre (ou novembre) à avril. Je regarde mon billet d'avion d'Air China : 17 octobre au 11 avril. Et moi qui croyais pratiquer la migration, je me rends compte, et ça me paraît maintenant si évident, que c'est en fait une hibernation. Je m'isole sous terre (sous la Terre, en quelque sorte), dans la chaleur de la tanière thaïe, des amours et de l'impensé, et je me replonge dans les projets, l'écriture, les sommeils et les rêves.

Quand même, le réveil est pour bientôt...


Photo : marché matinal dans un petit village de la province de Sóc Trăng, Vietnam.

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