Le Sud du Vietnam par ses routes, ses marchés, ses rivières
Saigon-Sóc Trăng. Retrouver ce bus-couchette dans lequel on avait voyagé pendant 24 h non-stop en 2012, en glissant du nord au sud sur la colonne du dragon, jusqu'à l'épuisement (et la dengue...). Semi-couchette, plutôt, sorte de fauteuil incliné, un peu serré mais pas mal du tout, et c'est parti pour cinq heures de route. On regarde au-dehors, on note les différences.
L'ami vit dans un petit village près de la côte, dans la maison familiale de sa blonde. La mère travaille au Canada, le père est perdu en hypnose devant la télé (cause maladie), mais les trois sœurs sont là, qui vont et viennent, chaleur – comme dans ma famille thaïe, les femmes encore, qui font vivre la famille. Elles nous nourrissent, refusent qu'on fasse quoi que ce soit. Attachantes comme c'est pas permis, trois caractères bien différents, qui responsable, qui ricaneuse, qui business (mais elles toutes les trois plus ou moins ricaneuses).
Autour du village, balade à scooter sur les petits chemins étroits, conçus pour les deux-roues seulement. Ils m'ont prêté un scooter (Conduis à droite, à droite, conduis à droite, à droite...). Les branches de palmier nous fouettent. Le long de la rivière, on croise des hommes qui récoltent la canne à sucre, la chargent sur une péniche.
Bientôt, c'est la côte, et un port, les bateaux de pêche, le chargement des bacs de poissons.
C'est une côte marécageuse, de ce côte-ci de la péninsule; pas de sable blanc, pas de resorts. Il y a cet endroit très local où l'on s'arrête pour un rafraîchissement. Des Vietnamiens m'invitent à leur table, ils font griller des poissons très, très frais, qui grouillent encore sur les broches. Ils m'en offrent, et de la bière. On n'arrive pas à se parler, mais ça ne fait rien, on se sourit.
Le lendemain matin, réveil tôt comme d'habitude, le marché matinal du village passe dans la rue même de la maison : il n'y a qu'à ouvrir la porte, et c'est la profusion. Je sors en catimini me balader tout seul. Marché d'Asie du Sud-Est qui me rappelle joyeusement tous les autres (au Laos, en Thaïlande...), si ce n'est les chapeaux vietnamiens, les belles robes des femmes, certaines nourritures que je ne connais pas. Les gens ne voient pas beaucoup de farangs, par ici, et je ne passe pas inaperçu (ce sera partout comme ça, dans le Sud du Vietnam, sauf sur l'île où j'irai). Des sourires, des timidités, des coups de coude au voisin : Regarde, un farang. Et puis, ça n'aide pas que je veuille prendre des photos; mais c'est dans la bonne humeur (ah, les jaunes, les bleus, les rouges des robes et des marchandises...).
Puis je décide que j'ai envie de voir du pays, et l'ami parle de l'île de Phú Quốc. On décolle le lendemain, moi seul sur mon scoot, eux (l'ami et sa blonde) sur l'autre. Je me suis bien couvert pour éviter de cramer sous le soleil (ma peau de roux...), on a même réussi à trouver une sorte de crème solaire pour moi (quoique c'est aussi fait pour blanchir la peau, je crois, comme si j'en avais besoin...).
Pas une route champêtre, que celle qui traverse la péninsule vietnamienne méridionale. On s'y attendait, et on n'est pas déçus : de la grand-route, des camions, du trafic – et parfois quand même quelques répits, des routes plus calmes le long des rivières. On ne s'en plaint pas; c'est l'aventure, l'aventure motocycliste. En roulant, on retrouve cette hypnose, le temps de penser, de rêver les projets et l'avenir. Dans les cafés où on s'arrête en bord de route, les hamacs remplacent les chaises. On boit un cà phê ít đường (pas trop sucré; j'ai appris cette expression très vite, c'est même devenu la perle de mon vietnamien, je dirais ;), ou encore un jus de canne à sucre pressée.
Le long de la route, on voit des brûlis, et des chargements de foin, transportés par camion ou par bateau.
Et puis on traverse beaucoup de fumées, de diesel, de poussières... On voit les chargements improbables sur les scooters. On ressent la route. On pense au projet Matière monde; dans les cafés, on prend des notes, déjà, de cette matière. L'excitation, la créativité qui reviennent.
La journée a été longue et dure, et les amis décident des rester sur la côte, qui est belle déjà. Je pars seul, le lendemain matin, vers le traversier. Je ne peux pas être si près de Phú Quốc et ne pas y aller; qui sait quand ici je reviendrai.
Sur le pont du traversier, des Vietnamiens m'invitent à leur fête de fruits de mer et de bière. Du crabe à qui mieux mieux, des coquillages à gogo, des Saigon en arrière du gorgoton, et des clémentines en dessert. On rit; et je me suis même retrouvé en Facebook Live sur des comptes vietnamiens (quoi, vous m'avez pas vu? ;). La traversée passe joyeuse et vite, puis on s'endort sur une banquette, bercé par les flots de bière...
Phú Quốc touristique, bien sûr, mais ça fait quand même plaisir de se planter les orteils dans le sable pour regarder les bateaux de pêche découpés dans le coucher de soleil sur la côte ouest de l'île. Devant, c'est le Cambodge; comme une sorte d'anomalie, Phú Quốc décalée là, tout près de Sihanoukville, et pas si loin de la Thaïlande non plus finalement, de la grande Ko Chang : mêmes, le golfe, les plages de sable blanc, les palmiers.
J'aime me balader au nord-est de l'île, où c'est plus tranquille, plus local, et où il y a plein de chiens (une espèce indigène dont on dit qu'elle a des dents acérées conçues pour déchirer la viande plutôt que pour la mâcher...).
Le retour ne sera pas bien différent de l'aller, si ce n'est une nuit à Vi Thanh (on a eu notre leçon : vaut mieux prendre deux jours pour traverser la péninsule), et le matin, je rôde seul encore, et encore j'ai du plaisir au marché, à sourire et rire avec les gens, et un homme, bel et fier, me paye un café.
Retour au village (ses rivières endormies, ses coqs, ses hamacs, ses sommeils...). L'ami s'est acheté une barque à moteur, le genre que les fermiers utilisent pour leur travail; c'est le seul, alentour, qui va en barque sur les rivières et canaux pour le seul plaisir de la balade, et les habitants trouvent ça bizarre et marrant. Ce serait beau, et c'est beau quand on lève les yeux sur les rives, les arrière-cours, les portiques, les façades, mais l'ennui c'est les poubelles : les gens jettent encore tout dans les rivières, et on navigue dans les immondices, et ça se prend dans l'hélice du moteur, c'est très dommage (une Thaïe me dit que c'était comme ça ici aussi avant, et ça me donne espoir, que c'est une question de temps, que ça changera). On en croise beaucoup qui pêchent pourtant; les mêmes, me dit-on, qui jettent leurs poubelles dans la rivière...
Le lendemain il faut rentrer déjà; et même si on est fatigué, si on a mal aux fesses de tant de scooter, même si on ne s'est pas vraiment reposé, dans la tête les choses se sont déplacées, ont décanté, se sont réordonnées. On rentre avec une soif neuve de voyage et de création, et avec le cœur gros de quitter l'ami, et les trois sœurs qu'on aime tant déjà. On reviendra.