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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Pointe-Saint-Charles, de fer et de brique | 1. Transbordement des conteneurs


J'ouvre aujourd'hui une série d'exploration en image, en photo, du quartier Pointe-Saint-Charles à Montréal. J'ai emménagé dans ce quartier, que je ne connaissais pas du tout auparavant, il y a deux ans exactement. Je revenais d'un séjour de plusieurs années en Asie, j'étais en choc culturel, je n'aimais plus Montréal (ce n'était pas personnel : ça dépassait Montréal, c'était l'Occident même), et c'est à travers Pointe-Saint-Charles que je me suis réconcilié avec la ville et avec la vie ici.

Un ancien quartier industriel, créé par les Canadiens français et les Irlandais, enclavé entre les chemins de fer, le canal Lachine, le bassin Peel et le fleuve Saint-Laurent (qu'on ne voit pas : les bâtiments industriels et les voies nous en coupent encore). Un quartier qui est resté populaire, qui est resté militant aussi (le Bâtiment 7, dont je reparlerai, en est le meilleur exemple). Évidemment, comme il est voisin de Griffintown, le quartier est en train de se transformer, les condos se dressent le long du canal, la rue du Centre s'emboboïse, même la Well (la rue Wellington), si déserte dans ce quartier (rien à voir avec Verdun), commence timidement à changer.

Pendant les prochaines semaines, prochains mois, j'arpenterai le quartier de temps en temps, mon appareil photo à la main, pour aller faire image de ce qui me semble le plus beau. Ce qui frappe le plus, dans ce quartier, c'est ce qui perdure : les trains, les conteneurs, le diner, le garage Henriquez qui est comme un musée du 20e siècle, etc. Mais il y a aussi ce qui naît, ou ce qui naît dans les vestiges eux-mêmes, comme le Bâtiment 7 établi dans une ancienne bâtisse du CN.

La Pointe, comme on l'appelle ici : comme un jeu de plaques tectoniques qui se heurtent et se brisent, causant bris, stries, failles et hérissements.

 

Première exploration, à l'aube du 22 mai : la zone de transbordement des conteneurs à l'angle de Wellington et Bridge (la rue qui, comme son nom l'indique, mène au pont Victoria).

Le soleil éclaire à contre-jour : je n'y avais pas pensé pour les photos, tant pis (je ne suis pas photographe : l'image est une façon de faire récit).

Il faudra que j'y retourne : il y a parfois des nuées d'oiseaux hitchcockiennes, extrêmement nombreuses, qui tourbillonnent autour des conteneurs et de l'espèce de tour.

Un panneau «Entrée interdite». Je longe prudemment la clôture, prends des photos à travers les losanges. Les camions grondent. Le lève-conteneur s'active, hisse une boîte très haut dans l'empilement, comme s'il jouait aux blocs Lego.

À l'extérieur des clôtures : les gens dans leurs voitures plastique filent au boulot, attendent impatiemment au feu de circulation. Juste devant la zone de transbordement (je ne l'ai pas photographié), un petit bunker, les mots «Car Wash» peints, une porte de garage. Le chemin de fer du CN enjambe la rue Bridge. Un camion quitte la zone, sur sa remorque on lit les mots pâlis : «CN Intermodal». Voilà ce que c'est, ici : un nœud dans les lacets des voies ferrées et des routes, une zone de transition entre le train et le truck.

En remarchant vers l'entrée, l'appareil pointé vers le lève-conteneur, j'entends qu'on crie, qu'on klaxonne. Une voiture arrive vers moi en vitesse. Un gars en sort, comme affolé :

– T'as pas le droit de prendre des photos. Ça peut être vu comme de l'espionnage industriel.

– Je suis juste un artiste, je réponds, sans trouver mieux à dire.

En repartant, j'aurais voulu voler une dernière image. Au-dessus des conteneurs, à contre-jour, un tournis d'oiseaux. Les nuées se lèvent tard, on dirait...

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