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  • Photo du rédacteurMahigan Lepage

Le respir du pays neuf

Octobre 2018.

 

Des souffles poussés sur Twitter, en 280 caractères ou moins, puis consignés et fignolés ici.

Le pays neuf : celui du voyage, des villes approchées, des routes & des aéroports; celui de l'écriture et du dire, quand ils pulsent des étonnements.

Je commence cette consignation en octobre 2018 & je la continuerai (peut-être) pendant des années. Les tweets les plus récents sont en haut.

 

les mauvaises nouvelles, les sentences, elles t’arriveront le plus souvent par lettre (voir la terrible lettre de rejet signée par l’oncle Jakob dans _L’Amérique_ de Kafka), ou par courriel aujourd’hui, c’est pareil : serpents vomis de la bouche noire de l’écrit

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d’où vient maintenant ce goût des lectures lentes, difficultueuses, qui demandent qu’on s’attarde longtemps à une phrase, un vers, un seul mot parfois? ce n’est plus une astreinte, on en tire réellement du plaisir, à traverser ces textes denses, ces forêts qui résistent au galop

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si le roman était un «genre sans genre» (J. Rancière), le récit n’est même pas un genre : plutôt la forme générique du raconter, quand elle n’a plus aucun rapport avec la notion de genre, et qu’elle cherche dans le monde sa propre récitation

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une sorte de désespoir espérant, de gravité du monde qui chauffe; le ciel noir des cinquante prochaines années, le mot «terminal» qui vient; l'impossibilité d'en être sauf, d'écrire en dehors de cet horizon, désormais...

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j’aime les textes qu’on lit (que _je_ lis) le livre dans une main, le dictionnaire dans l’autre; le luxe de la langue prodigue, sertie de pierres précieuses : Cl. Simon, P. Michon, les joailliers de la prose... le mot rare ne me dérange pas, au contraire, quand il est _juste_

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on a parfois l’envie – l’envie, non : la rage – de brouiller notre phrase, d’opacifier notre prose, de tout poétiser, de passer plusieurs couches de couleur – ou plutôt, de gâcher la peinture, de ruiner la surface du tableau, pour crever cet œil transparent qui nous fait horreur

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il y aura d’autres départs, le froid des aéroports, l’air lourd des avions, les marches sonnées dans la ville creuse, & la joie d'un premier réconfort : un tabouret de plastique, un café fort, le respir du pays neuf

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le poétique parle une langue plus dense & plus ancienne, plus riche aussi, même quand il coule ses lingots dans des phrases pauvres – tous les mots alors sont pesés au trébuchet, comme une matière précieuse

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c'est parce qu'on n'a plus le savoir, parce qu'on ne sait pas l'autre, qu'on n'écrit pas de roman – au lieu de quoi, il y a les bribes, les morceaux de récits, les incertitudes dites et les manques racontés

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cet arbre, ce bouquet de connexions, du tronc au lobe, juste derrière l’os du front : de plus en plus convaincu que c’est ça, c’est ça, c’est ça qu’il faut œuvrer à effondrer


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