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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Accrocher un arc-en-ciel

Toutes les couleurs résumées en une forme fragile


On était allés marcher dans la [forêt->http://mahigan.ca/spip.php?article145]. C'était un paysage calme, apaisé, peu flamboyant, aux arbres jaunes et doux, aux étangs tranquilles et broussailleux. On n'avait pas ici voulu trop aménager le sauvage ni policer le dehors.


Mais au retour, on avait été surpris par une averse. Alors on avait marché d'un pas pressé vers le parking où on avait laissé la voiture. C'est presque un réflexe, un conditionnement que de marcher d'un pas pressé quand il pleut. En fait, je m'en foutais bien, d'être trempé. Je pensais aux enfants qui n'y penseraient même pas, à courir s'abriter, eux qui ont plutôt la tendance inverse, à sortir sous la pluie. Et je regardais le flic-flac des gouttes sur la surface des étangs : c'était beau.


Combien souvent ces situations, où on manque le beau par notre souci du pratique? Au débouché du parking, le ciel se faisait de plus en plus coloré et changeant. Le soleil biasait à l'ouest sous les nuages, épandant des marées de jaune dans le ciel.


Pourtant la pluie se faisait de plus en plus forte : oui, on serait trempé. J'ai sorti mon bidule pour prendre des photos, au risque qu'il prenne l'eau. Mais elles sont difficiles à capter, ces couleurs dissipées, légères - il n'y a que cette photo (en haut) qui donne une idée du ciel d'alors, dont l'ampleur réduisait la découpe noire des arbres et des voitures, l'arrondi même de la terre.


On est monté dans la voiture. Mais le ciel bougeait encore; les rayons du soleil couraient horizontaux au ras de la route et des champs.


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Et soudain, bien sûr, cet arc-en-ciel. On s'est arrêtés, on est sortis de la voiture. La pluie tombait encore, plus forte que jamais. Mais c'était trop beau. L'arc était complet et vif, qui résumait la totalité des couleurs qui depuis quelques mois prennent tant de place en mes jours, mes visions. Il y avait des champs et des boisés, et les feuillages d'automne jaunis brillaient de mille feux, touffes d'or éclairées par les rayons bas que décuplait le prisme des gouttelettes d'eau.


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C'est un moment de grâce, je me disais - en sachant bien ce que ce mot de «grâce» peut avoir de [religieux->http://www.mahigan.ca/spip.php?article143] ou de romantique, mais je ne trouvais pas mieux. Pas de transcendance pourtant : c'étaient les mêmes champs tristes, les mêmes forêts résineuses, le même ciel muet. Mais tout cela soudain traversé de lumière et d'eau. Le temps restait pour moi l'inconnu. Et l'on savait que ça ne durerait qu'un instant. Que bientôt encore le monde masquerait ses couleurs, s'assécherait et s'assombrirait : le soir venait déjà.


Et c'est cela que peut être, mais à petite, si petite échelle, j'essaie de faire ici : extraire du réel ses couleurs, quand notre souci quotidien les efface. (Et qu'écrire et imager soient un, et que si - comme cette fois - les photos rendent peu, les mots prennent comme ils peuvent le relais.)



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