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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Arnaud Maïsetti, "Affrontements" | forces en présence

Une voix pour l'insubordination


<quote><small> C'était désormais le temps qui ne finirait plus, des affrontements qui conduiraient plus loin que soi l'espace de nouveaux morts, des villes posées contre le vent, des corps levés, des ruines intérieures, et des joies d'appartenir à ces combats qu'on partagerait, des forces en présence, et des veilles encore, qui feraient durer le temps pour qu'il soit nôtre.</small></quote>


En lisant les {Affrontements} d'Arnaud Maïsetti, me venait en tête ces mots : {voix noire}.


La voix. C'est là qu'Arnaud Maïsetti se tient, mais qu'importe le nom, le qui : il serait le premier à rendre au partage cette démarche. Voix, précisément parce que le sujet ne tient plus, qui assumait l'autorité du discours. Le "ça parle" de Foucault devenu pratique effective dans l'horizon contemporain de la langue performée.


Cohérence pourtant de cette démarche, dans l'éclatement même : dès ["où que je sois encore...->http://www.publie.net/fr/ebook/9782814506398/ou-que-je-sois-encore], les voix interrogeaient : "De quel fond venues..." On a appris peu à peu, à travers les textes longs, à travers surtout ce grand chantier web qui s'affirme hors légitimations établies -- [les Carnets->http://arnaudmaisetti.net/] -- à pratiquer {avec} Arnaud ce nouveau vocabulaire du monde s'inventant. Corps, mouvement, spatialisations (avant/arrière, à côté/dedans, haut/bas), vitesses, effondrements et levées, approches et reculs : toute une scène du corps dans la voix -- le théâtre, de plus en plus présent chez lui --, qui demande immense force d'abstraction. Non pas une abstraction du monde -- pas un formalisme --, mais l'emploi de cette puissance de la langue -- l'abstraction -- qui en fait un outil aussi puissant que les mathématiques pour forcer le réel à rendre gorge.


{Affrontements} rappelle les derniers textes de Beckett ({Compagnie} par exemple), où la voix est première, qui se nomme elle-même, se performe, et détache des figures, des silhouettes, des relations, des éclairages dans le noir. On pense plus encore au {Dépeupleur} : n'est-il pas question, là déjà, d'affrontement, dans un espace abstrait tout en luttes et rapports, écriture politique qui acule le monde au pied du mur?


Seulement ici, pas d'impersonnel, pas de neutre : {Affrontements} se risque au "je", même si celui ne devait plus être que dépouille. (Ainsi s'ouvre le texte : "Je. S'affronter".) On devine un sous-texte autobiographique, on voit glisser la thèse et l'altérité Koltès, la critique et l'étude, pour qui connaît Arnaud : "l'écriture (et le travail) pour prétexte, et prendre même prétexte d'autres pour livrer le combat, d'autres phrases que les siennes pour dire comme c'est aussi en ce coeur vif de soi qu'on peut se réinventer, c'était de pure folie". Mais ce n'est précisément que pré-texte, et le texte en lui-même n'est pas autobiographique, bien qu'il s'affronte au soi.


{Affrontements} trouve sa possibilité dans un sérieux qui autre part fait défaut -- un sérieux que je dirais {gigantesque}, comme on dit d'un rire (ce n'en serait d'ailleurs que l'envers, tout proche). Ce qui se produit de monde et de voix au-dedans de soi, soudain le prendre au sérieux, ne pas l'épargner, préparer l'affrontement. Sommer les adversités, les rugosités, poser cela comme lieu en le nommant (le lieu des affrontements), convoquer les {forces en présence}. Et user pour cela, en les aiguisant, des outils narratifs élémentaires[[Devant l'éclatement des grandes catégories du raconter (genre, personnage, roman), on écrit dans l'élémentaire, dans le dépouillement.]] dont on a hérité : récit, topographie, portrait, journal, inventaire... Investir l'écran comme un champ de bataille, parce que là viennent les mots et les images : "Sur l'écran, les affrontements se dispersent et avancent à la fois -- sur l'écran, d'autres affrontements viennent, il faut les devancer peut-être". Peu à peu, des génériques se forment, comme par mots-clés (récit, visage, jour...), qui déploieront une lecture non linéaire du texte, narrativité reprise en charge dans le codage du epub par Roxanne Lecompte : le texte est doublé, on peut lire les {Affrontements} à travers les "Jours" (ordre temporel) ou les "Chemins" (ordre spatial). Des uns aux autres, c'est le même texte qui "se disperse et avance à la fois".


{Créer} les affrontements, mettre les forces en présence : voilà, précisément, de quoi il retourne. Aller jusqu'au bout de soi : la citation d'Henri Michaux placée en exergue m'accompagne depuis des ans au plus près, et je ne sais si c'est hasard ou non qu'au même moment je la transcrivais moi-même dans un chantier en cours, {Frondaison}... :


<quote><small>Va jusqu'au bout de tes erreurs, au moins de quelques-unes, de façon à en bien pouvoir observer le type. Sinon, t'arrêtant à mi-chemin, tu iras toujours aveuglément reprenant le même genre d'erreurs, de bout en bout de ta vie, ce que certains appelleront ta "destinées". L'ennemi qui est ta structure, force-le à se découvrir. Si tu n'as pas pu gauchir ta destinée, tu n'auras été qu'un appartement à louer. (H. Michaux, {Poteaux d'angle}) </small> </quote>


C'est abstrait, mais ce n'est pas un jeu. Il s'agit de se pousser à bout mentalement -- à même extrémité que d'autres le font physiquement --, et il faut pour cela beaucoup de sérieux, et de persérérance -- ce qui, dans la prose, s'appelle continuité. Arnaud retrouve là, par un biais pourtant neuf (passant par l'écran, la non-linéarité, le dépouillement...), la puissance souvent dite de la langue poussée à bout : assaut contre la structure (Michaux), contre la frontière (Kafka) -- continuons (Beckett) :


<quote><small>On n'est armé que de ses poings pour frapper sur cette porte-frontière. De l'autre côté, personne ne nous voit crier, mais peut-être entendent-ils, par intervalles réguliers, sourdement, quelques coups, mats, féroces, et tendres, derrière la porte, porte qui va bien finir par s'abattre si je continue ; je continue.</small></quote>


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-* [télécharger le texte {Affrontements} sur publie.net->http://www.publie.net/fr/ebook/9782814596986/affrontements]

-* [lire les Carnets d'Arnaud Maïsetti->http://arnaudmaisetti.net/spip/]

-* suivre [@amaisetti->twitter.com/amaisetti] sur Twitter


{Affrontements} sur le web :

-* [dans Tiers Livre->http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3189]

-* [dans Babello->http://www.babelio.com/livres/Maisetti-Affrontements-une-voix-pour-linsubordination/436581]

-* [chez Christine Jeanney->http://christinejeanney.net/lectures/article/affrontements-une-voix-pour-l]

-* [chez la Dame au Chapal->http://ladameauchapal.com/2012/11/25/affrontements-arnaud-maisetti/]


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