Assises de la route
Sur quoi reposent nos cheminements
Date inconnue.
On a touché un cailloux, quelque chose dur, qu'on ne lâchera pas. Dans cette seule idée de voies construites à travers les vallées et les champs, les creux et les plats. C'est en moi comme une idée abstraite de dureté, de structure dans l'affaissement même, dans le paysage étendu, mouvant, vallonnant.
J'ai toujours trouvé bizarre cette expression simple : "construire une route". Ou bien : "bâtir des routes". Comme on construirait, bâtirait une maison. Je ne me suis jamais fait à cette idée. Je ne sais même pas bien pourquoi. C'est bien une construction, oui. Mais cela ne s'élève pas sur soi-même, mais se soutient de lieu en lieu sur de nouvelles assises de terre. Ce n'est pas bien clair. Mais quelque chose dans la route, dans la longueur de la route, son étendue, son immodestie, nie en quelque sorte l'idée de construction.
"Bâtir" veut dire "porter, soutenir". Voilà bien le noeud du problème. Toutes les constructions sont finalement soutenues par la terre, c'est certain. Une maison, une grange ne se soutiennent pas plus d'elles-mêmes qu'une route. Pourtant, en s'étageant, en se structurant verticalement, elles en viennent à donner cette impression d'autonomie. Et puis elles font moins mal à la terre (je ne parle pas encore de la ville). Elles durcissent, cimentent un carré ou un rectangle, de la matière même, déplacée, de cette terre, puis s'élèvent, ne demandent pas plus, prennent de la hauteur, du ciel, se montent sur elles-mêmes. On dirait que la maison ne s'appuie que sur elle-même.
Mais la route, tellement autre chose la route. Elle prend si large, si long. Pour chaque nouvelle parcelle, chaque nouveau morceau elle réclame nouvel appui à la terre. À peine elle s'élève sur elle-même, elle ne pose que fondations, puis à côté nouvelles fondations, et toujours avant, comme si jamais satisfaite, comme si jamais le pays assez bien pour elle. Et la terre donne, puisque pour cela elle est faite. Partout la route prend appui sur la terre.
Et c'est cela qu'il faudrait arriver à extraire. Cette tristesse des vallées. Cet affaissement du pays. Cet espèce de contradiction, de tension, qui fait structure de ce qui ne se porte, de ce qui ne se supporte plus, mais s'affaisse et déprime. Tout le monde connaît cet ennui-là, de traverser trop long de pays. Qu'est-ce qui nous prend alors, malgré tout, et qui nous ferait pleurer la terre, de lui confier tant de nous-mêmes?
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