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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Au sud du monde

Prendre le vent quand il vient


On a le sentiment parfois qu'on ne choisit pas volontairement le mouvement, mais que le mouvement à l'inverse nous entraîne, qu'il nous presse.


Il y a un an presque exactement, je commençais à m'ancrer de plus en plus à Chiang Mai, quand j'ai reçu cette nouvelle inattendue : la bourse qu'on m'avait refusée quelques mois plus tôt, maintenant on me l'accordait. Je pouvais donc mettre en branle mon projet "mégapoles", en latence depuis mon arrivée en Asie. J'étais reparti pour plusieurs grandes virées, de Manille à Jakarta, de Beijing à Shanghai, de Kolkata à Mumbai et Bangkok. Ça donnera [{Explosent les villes d'Asie}->http://mahigan.ca/spip.php?article477], un chemin d'écriture vraiment ardu, mais déterminant pour moi, dans mon parcours.


Et maintenant, ce virage qui chamboule tout. La décision de [devenir interprète->http://www.mahigan.ca/spip.php?article493], le courriel d'acceptation du collège Glendon de l'Université York à Toronto. On redouble d'ardeur dans l'apprentissage des langues : perfectionnement de l'anglais et aussi, en ce moment, deux heures par jour de lecture-écriture en caractères thaïs.


On s'était demandé souvent où on serait, l'an prochain, maintenant on sait, mais on sait aussi qu'on ne sait pas où on sera dans trois ans. C'est parfait. L'an prochain, donc, on restera en Thaïlande, parce que la première année de cours est donnée entièrement en ligne, ce qui est tout à l'honneur de Glendon College, et à l'avantage des étudiants : des profs de partout dans le monde, Allemagne, États-Unis, France, Canada, enseignent à des étudiants en Chine, au Canada, en Égypte, en Thaïlande... Pas de restriction géographique, ce qui permet d'être plus sélectif et plus pointu, pour l'enseignement d'une profession qui l'est déjà, sélective et pointue. Quelle chance, j'ai, quand même -- et en roulant en scooter, dans Chiang Mai, je me le répète souvent, chance d'avoir été accepté à Glendon, chance que la première année se donne en ligne, chance de pouvoir étudier en Thaïlande, devant mon ordi, et dehors les Tropiques, au sud les plages, au quotidien la bouffe si bonne, et surtout pouvoir continuer d'apprendre le thaï, dont je voudrais éventuellement faire une langue de travail, oui je me répète tout ça en roulant dans la ville, et je souris.


Mais voilà : quand je suis revenu de mon difficile voyage en Inde, en novembre, je m'étais dit que c'était assez pour un bout de temps, assez voyagé, en tout cas ce type de voyage sac-à-dos, assez -- les seuls voyages dont j'avais envie, c'était à scooter, en Thaïlande ou au Laos (comme au Jour de l'an, de Chiang Mai à Luang Prabang en scooter et retour, magnifique virée, et facile, parce que les Laotiens parlent thaï, et qu'on a l'autonomie de déplacement).


On est comme un homme seul sur un voilier. Épuisé d'avoir beaucoup navigué et traversé des tempêtes. Enfin, le vent est tombé. On espérait bien se reposer. Mais voilà, après un court moment d'accalmie, le vent se relève. On a beau être fourbu, on ne peut pas refuser le vent! Il faut négocier avec lui. Il faut le prendre. Et se rappeler que le vent est une chance, le difficile est une chance (Rilke).


Je dois perfectionner mon anglais avant la rentrée. Je peux prendre des cours à Chiang Mai, bien sûr, et étudier par moi-même (ce que je fais déjà). Mais j'ai l'impression qu'une immersion me ferait plus grand bien. Et alors, j'ai vite repéré mentalement les deux pays anglophones les plus près de la Thaïlande. Les deux grands archipels tout en bas du monde. Mais pour m'immerger, il me faut travailler. Pour l'Australie c'est trop tard, je suis trop vieux pour demander un visa vancances-travail. En Nouvelle-Zélande, par contre, je passe tout juste sous la limite, qui est 35 ans...


Un séjour de trois mois chez les Kiwis, de mai à août... Je n'ai pas décidé fermement encore, mais j'y rêve. Parce que ces îles, quand même, elles font rêver. On imagine les montagnes, les plages, les vents du Pacifique. Une jungle à la Robinson, peuplée d'animaux étranges... Et en même temps, il y a le réel qu'on devine, on commence à avoir beaucoup voyagé, on sait bien tous les adaptations et inconforts que ça demande... L'argent aussi, bien sûr, même si on chercherait du boulot, genre "fruit picking", ou peut-être tourisme, on ne se fait pas d'illusion, au total ça coûterait plus que ça rapporterait. On le ferait pour l'anglais. Mais aussi pour assouvir une soif. Je me souviens, quand je venais d'arriver en Asie, il y a bientôt deux ans, et que tous les possibles restaient encore ouverts, je rêvais d'Océanie. Je faisais des recherches sur Internet pour savoir comment c'était, voyager là-bas. C'est l'argent, qui m'a retenu. Quand on compare avec l'Asie du Sud-Est...


Il y a toujours un vent qui souffle au bon moment pour nous pousser vers l'inaccompli. Maintenant, je peux le faire. J'ai le temps. J'ai assez d'argent, je crois. Et j'ai une raison, un projet, qui m'y pousse.


Alors je fais des recherches sur Internet. Ce serait un départ dans cinq semaines, autant dire demain! Billets d'avion, boulots, hebergements... J'ai bien envie de louer (voire d'acheter et revendre) un petit {campervan}, avec au minimum lit et cuisinière, peut-être même toilette et douche. Sillonner les îles là-dedans, et chercher du boulot.


C'est drôle, dans l'hésitation, ce qui me fait pencher vers l'aventure, c'est l'écriture. C'est ça que j'ai voulu, dès avant de venir en Asie : écrire en mouvement. Juste de me dire que j'apporterais l'iPad avec clavier Logitech et que j'écrirais en mouvement, que ce ne serait pas seulement voyager, mais aussi écrire, essayer quelque chose d'excitant, embarquer l'écriture dans le camper, sur les routes de ces îles impossibles, émergences tout au sud de l'immense océan, tout près de la calotte Antarctique, juste de me dire ça, on dirait que je sens monter l'incitation.

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