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  • Photo du rédacteurMahigan Lepage

Autochrome 11 | solitude de béton

Bâtiment solitaire résumant le sentiment de la ville nouvelle


Les premières fois où je viens à Montréal, dans la {grande ville}, depuis l'Ouest (l'Outaouais, la ferme paternelle) ou l'Est (Rimouski, Le Bic, l'appartement maternel), sur le pouce. Remonter du métro à Berri-UQAM, presque toujours, et marcher sur la rue Ste-Catherine. Elle impressionne, cette rue. Il y a des magasins de t-shirts, des ateliers de tatouage, des sex-shops... On y croise des punks, des prostituées, des foules de gens.


{Le sentiment de la ville nouvelle.} C'est ainsi que je l'appelle, depuis plusieurs années déjà. À mesure qu'il s'éteint, qu'il m'éprend de moins en moins souvent, je ressens d'autant plus vivement le besoin de la nommer -- et, par la nomination, de le revivre peut-être. Malgré tout il s'efface, lentement s'en va: bientôt, peut-être, je n'arriverai même plus à le dire.


C'était une excitation très grande, un affût de tous les sens. Je viens de la forêt très profonde, des montagnes. Puis, j'ai habité dans une autre campagne, sur un autre rang. Enfin, dans un petit village. La grande ville, j'y venais parfois -- très très rarement -- avec mes parents. Quand j'ai eu l'âge de me déplacer tout seul, aller à la ville a été pour moi la première liberté.


Mon cerveau n'était pas habitué à tant de sensations, tant de bruits, de silhouettes, de mouvements. Comme je me sentais libre, comme je me sentais vivre, quand, adolescent, je découvrais une ville étrangère! Ç'a été d'abord Montréal, puis Toronto, et les villes de l'Ouest. Plus tard: Paris, New York... J'ai eu encore un vague passage de ce sentiment récemment à Vancouver, en faisant mes premiers pas dans la ville, en descendant du Skytrain. Mais cela est de plus en plus faible, de plus en plus rare. Est-ce que je suis en train de m'éteindre, petit à petit, sous l'étouffe des années et de l'habitude? J'ai beau voyager, je ne perçois plus tant qu'avant le vivant, le mouvant, dirait-on, et j'en ressens une certaine tristesse.


Repasser rue Ste-Catherine, et revoir, pour une centième, une millième fois, ce bâtiment qui, les premières fois, quand je n'habitais pas encore Montréal, me fascinait tant. Il résume pour moi la ville, c'est-à-dire le sentiment d'excitation et de nouveauté de la grande ville. C'est un bloc de béton incongru, isolé, planté au milieu de parkings vides. Sur les flancs, de grandes murales (elles n'ont pas tant changé, c'est encore les mêmes espèces de visages colorés). Il m'impressionnait, ce bloc, en raison des couleurs, des graffitis, de son côté un peu délabré. On n'aurait pu imaginer pareille chose à Rimouski ou à Thurso. C'était Montréal. C'était la grande ville. Libre, insouciante, inattendue.


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Déjà à l'époque, on vendait des {queues de castor} au rez-de-chaussée, une patisserie qu'on ne trouvait que dans les grandes villes. À l'étage, c'était un magasin de t-shirts, si je me rappelle bien (aujourd'hui, je ne sais pas trop).


Il a peu changé, en somme, ce bâtiment de béton, malgré les bouleversements tout autour de la ville, et malgré aussi ce qui a pu changer en moi. Il est toujours là, solitaire, jauni, tenace, s'élevant au milieu des parkings, se tenant debout au milieu du délabrement, de la misère et du commerce.


Il résume encore à lui seul, pour moi, ce sentiment qui lentement, inexorablement me quitte: le sentiment de la ville nouvelle, le sentiment de la grande ville.

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