Autochrome 12 | pitié des chaises abandonnées
Les chaises sont êtres muets et dociles, qui s'ajustent à nous
Chaises. Vieilles chaises. Dossiers de chaise.
On est muet devant une chaise. On n'a rien à dire, ou trop. C'est un objet si commun, si prosaïque. Penser aux {Chaises} de Ionesco.
On dirait que les chaises sont là depuis toujours. On apprend à marcher en se tenant sur les chaises. On apprend à patiner en poussant une chaise. On nous y installe pour dessiner. On nous en assigne une à l'école -- et on n'en décolle pas de quinze, vingt-cinq ans.
Le Bouddhiste vietnamien Thich Nhat Hanh répète souvent comment il aime à s'asseoir, tout simplement. En position assise, sur une chaise assez droite, c'est vrai qu'on respire mieux (je ne parle pas des chaises de bureau ou d'ordi, sur ces chaises on ne respire pas, ne veut pas respirer: on plonge en apnée, on respire après, quand on se relève).
Les chaises que je trouve à photographier dans les rues de la ville sont toujours vieillottes (ce sont les chaises usées que l'on jette, ou bien c'est que je ne remarque pas les autres). Elles dégagent toutes un parfum de maison de grand-mère ou d'école primaire. Je les aime bien, ces chaises (au contraire des chaises de plastique, ou des chaises laidement "design" des années 90). Elles sont tantôt de simple bois, tantôt rembourrées et recouvertes de moleskine. Je ne me trouve jamais très confortable, sur ces chaises, d'autant qu'elles sont petites et que je suis grand. Mais dans cet inconfort précisément, être forcé à plus de tonus et de conscience. On n'est pas seulement assis; on pense au fait qu'on est assis, on y {travaille}.
Chaises jetées maintenant, arrachées à leur usage. Et c'est pourquoi d'ailleurs je les remarque, les photographie. Rien de plus triste qu'une chaise abandonnée. C'est bien plus triste qu'une table jetée. Parce que les chaises sont beaucoup plus proches de nous, sont notre silhouette, notre colonne vertébrale même. Sont des êtres muets et dociles, flexibles, qui s'ajustent à l'autre, à notre corps : dans la rue, jetées à côté d'un sac à ordure, d'un lavabo usé, avec lesquels elles n'ont rien en commun, elles m'inspirent grande pitié.
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