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  • Photo du rédacteurMahigan Lepage

Autochrome 14 | qu'appelle-t-on bâtir

Sens du bâtir appliqué à la charpenterie et à l'art


<quote><small>Que celui qui pourrait écrire un tel livre serait heureux, pensais-je; quel labeur devant lui! Pour en donner une idée, c'est aux arts les plus élevés et les plus différents qu'il faudrait emprunter des comparaisons; car cet écrivain, qui, d'ailleurs, pour chaque caractère, aurait à en faire apparaître les faces les plus opposées, pour fait sentir son volume comme celui d'un solide devrait préparer son livre minutieusement, avec de perpétuels regroupements de force, comme pour une offensive, le supporter comme une fatigue, l'accepter comme une règle, le construire comme une église...


Marcel Proust, {Le Temps retrouvé}</small></quote>

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Qu'appelle-t-on bâtir?


Avoir passé deux jours sur les poutres, avec d'autres, à hisser de conserve des solives et des chevrons. Il y a une beauté à voir s'élever un bâtiment -- gagner du solide sur le rien, du soutien dans le ciel. C'est ce que signifie {bâtir}: soutenir, porter.


Deux jours d'un travail de main, de corde et de marteau. Genre de travail que j'ai passé, passe encore ma vie à fuir, avec la peur toujours d'y être contraint par la nécessité (pas seulement le travail manuel, à vrai dire, mais toute tâche requérant en moi des ressources trop importantes d'abnégation). Mais de s'y engager sur une brève période de temps, cela fait du bien, pas seulement au corps mais aussi au cerveau (à la mémoire corporelle qu'on porte dans la tête). Cela fait apprendre, réapprendre, quand devant nos écrans, nos mots et nos images, on commence à s'ankyloser. Deux jours, cela suffit pour que le rêve travaille, intègre. Ainsi toute la nuit dernière, avoir rêvé à des ajustements, des mesures et des coups de marteau...


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Ce bois. La photo en révèle la coloration interne, comme le fait une teinture. Il vient de si près, des forêts alentour, a été abattu, écorcé, scié par deux des mains qui à présent l'emboîtent et le consolident. Un bâtiment comme celui-là (ce sera un garage, avec atelier et remise attenantes) ne fait pas violence à la terre. Il est la terre même, cette terre sylvestre sous nos pieds, élevée par la force du labeur.


Quelle différence entre bâtir et les constructions de mots qu'on travaille journellement à élever? Ici, on travaille en groupe (beauté de l'effort commun, qui restera toujours difficile ou relatif en l'art), et le plan de la construction est déjà fixé. Ce bâtiment ressemblera à tant d'autres qu'on a déjà vus, que les mains de mon père ont au courant de sa vie élevés. C'est dans la répétition, dans l'assurance du déjà-fait, que le bâtiment tire toute sa force et sa grandeur. Tandis qu'en écriture on doit avancer dans l'incertain et la solitude, donner forme (non cadastrée) à des masses d'informe, des nuées d'angoisse.


Mais l'une ou l'autre tâche peut suffire, sans doute, à soutenir une vie. Et "bâtir" est verbe qui s'applique aux deux. Il dit ce que l'on fait, là-devant avec les choses: les faire porter, les faire tenir les unes sur les autres, comme poutres, solives et chevrons. Mais il dit aussi ce qu'est une vie humaine harnachée à cet effort. Une vie de bât, et la noblesse que c'est de la supporter.


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