Autochrome 3 | éternel autobus jaune
Symbolique d'un véhicule et d'une couleur
Tombé sur cet autobus, en marchant par les rues de Rosemont--La Petite-Patrie, près du Cinéma Beaubien (lui-même affichant vieux symboles, un des derniers dans son genre à Montréal : guichet extérieur en coin, enseigne illuminée). Et le mot {éternel} qui aussitôt me vient : {éternel autobus jaune}.
Non qu'il y ait là sacré ou transcendance. Est éternel pour nous, relativement, ce qui est de tout notre temps, qui remonte à toujours, c'est-à-dire surtout à l'enfance. Mais tous les objets de l'enfance ne ressurgissent pas dans le présent de la ville comme le fait l'autobus jaune. Rien n'a changé, de ce véhicule : ce sont les mêmes formes arrondies, les mêmes pneus larges, le même châssis de camion -- et vraiment, quand on y pense, ce sont camions dans quoi enfant on montait, comme si alors on était sorte de marchandise.
La première fois que je suis monté dans un autobus jaune, ce n'était pas pour aller à l'école. Notre voisin, un Allemand, s'en servait comme {camping car}, y avait aménagé à l'arrière un lit, était allé dans l'Ouest et ailleurs à bord de cet autobus. Pour ma soeur et moi, y monter était une fête. On pouvait même s'asseoir derrière le volant. Il y a des photos de nous dans cet autobus, ma soeur assise sur un banc, moi sur le siège du conducteur, faisant semblant de conduire et mimant avec ma bouche le bruit du moteur.
Et photo aussi il y a de moi attendant l'autobus à mon tout premier jour d'école. Ce bus-là était plus gros, plus long, il me semble, même pas si différent quand même. Et bien sûr j'étais fébrile : j'avais envie d'aller à l'école, et l'autobus jaune, l'éternel autobus jaune, symbolisait ce passage, cette accession.
Il faudrait combien de temps pour qu'il en vienne à symboliser au contraire le dégoût? Je crois n'avoir aimé de l'école que ma première année, peut-être ma deuxième (les premières et les deuxièmes partageaient la même classe, on avait d'ailleurs voulu me faire sauter directement en deuxième, mes parents avaient finalement refusé : heureusement, j'aurais puberté tardive, serais déjà moins fort que les autres garçons à partir de la cinquième, s'il avait fallu qu'en plus je sois d'un an plus jeune...). Bientôt je détesterais l'autobus jaune, dont le chauffeur, à L'Ascension-de-Patapédia, était au reste particulièrement désagréable.
Ce serait pire une fois en Outaouais. Je serais le premier à monter et le dernier à descendre, j'habitais au bout de la ligne. Une heure trente de voyagement dans l'autobus jaune chaque jour, et des violences reçues et données... Loin, très loin désormais, la fébrilité du premier trajet vers le premier jour d'école dans l'éternel autobus jaune.
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