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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Autogéographie en mouvement

Soi et terre écriés, un concept


<quote><small> {{Addendum 4 mars 2013.}} Le lendemain de la publication de ce billet, [Loran Bart->https://twitter.com/LoranBart] me rappelait cordialement sur Twitter, sans aucune trace de réflexe défensif, qu'il travaillait lui aussi autour du concept d'"autogéographie" : voir son site [Les lignes du monde->http://leslignesdumonde.wordpress.com/], toujours actif. Je le savais, ma mémoire consciente l'avait oublié, mais pas ma mémoire involontaire : je soupçonne que c'est de là que le mot m'est venu. On n'invente rien, de tout façon ce n'était pas mon intention. Loran Bart ajoutait d'ailleurs à mon intention sur Twitter : "@mahiganl faut rendre à judas ce qui est à Judas, : c'est Amélie Nothomb (je l'ai découvert après) qui l'a un peu lancé, du moins popularisé". Une rapide recherche via Google m'a vite mené à [cet entretien de 2004 pour lalibre.be->http://www.lalibre.be/culture/livres/article/185373/l-autogeographie-d-amelie.html] où Nothomb, parlant de sa {Biographie de la faim}, écrit : "Sincèrement, cela me paraît être un genre littéraire encore inconnu. S'il fallait vraiment le définir, je dirais que ce serait une autogéographie, comme l'évocation d'un archipel au début le laisse entendre. Cela en a d'ailleurs la forme puisque cela commence par de grands pans de texte qui sont comme de grandes îles. Arrivé à la puberté, le texte s'effiloche en petites îles. C'est donc, à la lettre, un archipel."


Dont acte. Cela dit, il y a le mot et il y a le concept. Et d'une démarche à l'autre, le rapport est plutôt de parenté et de parallélisme, et non d'identité.

</small></quote>


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Six ans maintenant que {j'écris}. C'était en 2007, à l'hiver ou au début du printemps. Après un séjour difficile de trois mois [à Poitiers->http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article2961], pendant lequel ma vision de la littérature s'était renversée : d'extérieure, elle était devenue intérieure. J'étais prêt.


Alors les images de l'enfance sont revenues, en premier. La hantise des coulées, que j'avais oubliée. Le rapport vertical/horizontal, dès le début. Une abstraction oui, mais avec tout ce qu'elle comporte de peur et de rage. Juste avant de repartir en France, après une épreuve qui m'avait dégoûté encore un peu plus de l'académisme, je lancerais les premières phrases de [{Relief}->http://www.mahigan.ca/spip.php?article104]. Surprise : cela tenait, le texte avançait. Après, ce seront des mois d'écriture à Paris, comme marcher en dessous de l'eau...


La chronologie se révèle vite limitée quand il s'agit de création. Je dirais, pour parler comme Bergson, que la chronologie, c'est un peu la mesure spatiale, relative et réductrice, du temps vrai. La création va comme un flux sans séquences; les ans prétendent se fixer sur du mouvant. Et puis, écrire ne commence pas : c'est toujours en déjà. D'où que l'on cherche, chacun qui écrit, d'autres mots pour dire ce que c'est. En ce moment, je dirais que l'on {écrie}, cela me suffirait. Oui, c'est le cri qui compte plus que les lettres. Lui, qui fait la différence entre une écriture qui communique et une écriture qui monte.


Là où compte la chronologie, c'est dans les reprises de conscience de la création. On ne décide pas par avance ce que l'on va écrire, quelle cohérence il y aura d'un texte à l'autre (si encore cette séparation existe), etc. Aucun désir de ["faire oeuvre"->http://www.fabula.org/revue/document4382.php], avec mon travail encore moins qu'avec celui des autres. Je n'ai rien choisi de ce que j'ai écrit. Pour ceux à qui la pratique reste étrangère, cette phrase est un cliché. Le problème, c'est que la pensée ne peut se projeter en dehors d'elle-même : pour elle, tout est pensée. Mais on ne pense pas quand on {écrie}. Cela vient, on accepte.


C'est plus tard, six ans plus tard par exemple, que l'on se retourne, et là on pense peut-être. La pensée est un arrêt. Marcher sur le chemin. S'arrêter. Se retourner. Se demander ce qu'il y a derrière, ce qu'il y aura devant. Cela est de la pensée.


La pensée m'importe moins que la marche. C'est une étape -- un [relais d'étape->http://mahigan.ca/spip.php?article289]. Reste qu'elle est nécessaire, sans doute. Non pas qu'elle ait forcément des effets sur la marche : celle-ci demeure imprévisible et indomptable. Mais l'arrêt est sans doute aussi nécessaire au mouvement que la mort au vivant. D'ailleurs, la pensée est une petite mort.


En ce moment, pour moi, c'est ce mot : "autogéographie". Il ne m'était jamais venu à l'esprit avant. C'est récent, quelques semaines. Je le vois bien depuis longtemps que la géographie m'obsède. Et puis, il m'a bien fallu accepter aussi l'autobiographique, puisque c'est cela qui m'est donné. Mais je n'avais jamais {pensé} à fusionner les deux concepts. Pour créer un autre concept, neuf, par émergence?


Tout est là résumé. Je ne suis pas géographe, je n'en ai pas la prétention. Je suis {autogéographe}. C'est par l'individualité, et par l'individualité seulement, que j'approche le {geos}, le terrestre. Inversement, ce qui, pour moi, déclenche et autorise l’écriture de soi, c’est l’inscription dans un territoire, la projection dans une extériorité. Si bien qu’il n’y a plus de séparation entre le dehors et le dedans; il n’y a qu’un seul paysage mental, à la fois intérieur et extérieur.


"Autogéographie" : ce mot comme un repère, peut-être temporaire, je ne sais pas. En tout cas, rien de ce que je n'ai écrit jusqu'à maintenant qui ne s'y rattache d'une manière ou d'une autre. Je n'aime pas le mot "autofiction" dont on affuble aujourd'hui les textes dès qu'il y a du soi dedans (je n'y ai pas échappé). Il séduit parce qu'il semble paradoxal : du soi {et} de la fiction? Il serait temps que l'on sorte de ces binarités, fiction/non-fiction, autobiographie/roman, etc. On peut aborder le soi fictionnellement ou non. Et la non-fiction n'est pas forcément de l'histoire, n'est pas forcément en dehors de la littérature : qui a lu Rancière a compris que la fiction n'est plus le principe d'identification de l'art d'écrire depuis 1800 au moins. Que s'obstine-t-on, dans les départements de lettres, à envisager les textes avec ces outils dépassés?


De toute façon, je préfère que l'on me désigne, d'un texte, ce qui le fait monter. Le {geos} fait monter. Le relief, les chemins, les côtes, les autoroutes et les villes comme inscription dans la géographie : voilà ce qui me fait écrire. Heidegger, qui disait que "l'art fait venir la terre", écrivait aussi : "Expérience est marche sur un chemin. Le chemin mène à travers un paysage". Cette phrase n'est pas une métaphore. Heidegger ne dit pas "Expérience est {comme} marcher sur un chemin". Il dit : "Expérience est marche sur un chemin". Là où il y a expérience, il y a géographie. Rien n'a jamais été vécu qui n'ait son paysage et son sentier, si étroits soient-ils. Une chambre, un corridor; l'Himalaya, un sentier; une ville, une autoroute : voilà l'expérience.


La phrase de Heidegger dit aussi le mouvement. Il n'y a pas de déploiement autogéographique sans mouvement. La marche. L'avancée. En écriture, cela s'appelle {prose}. À quoi s'adjoint le concept de "mobilité", que je développerai une autre fois. La mobilité me semble rejoindre le contemporain, son présent. C'est un concept qui réfère au planétaire. On l'utilise aujourd'hui dans le langage politique et bureaucratique : la mobilité étudiante, la mobilité de la main d'oeuvre, etc. En reprenant ce mot à notre compte (artistique), on peut le conceptualiser, peut-être, et faire de sa présentité quelque chose de plus haut. On possèderait alors un concept de mouvement planétaire qui engloberait et déborderait le voyage, qui ne serait pas l'exil ni l'immigration, qui n'appartiendrait pas au déjà-connu. La mobilité, c'est autre chose. C'est les séjours de 3, 4 mois en France. C'est les vols {low cost} dans les capitales d'Europe ou au Maroc. C'est passer un an en Asie tout en ayant avec soi les outils et la bibliothèque nécessaires à la continuité du travail. Mais j'en reparlerai...


Autogéographie en mouvement. Autogéographie mobile. Jamais je ne concevrai un projet de texte selon un concept défini. Un texte s'impose, on le prend. Et tant pis ou tant mieux s'il déjoue la pensée. Si un texte impose un écart, on le suivra bien sûr. Mais pour l'instant, dans l'arrêt où je me trouve (un chantier long tout juste fini, un autre en attente de commencement), c'est un repère. Le concept en serait l'{autogéographique}, et je m'en sers déjà pour lire. Gracq ou Proust bien sûr, mais aussi la remontée du fleuve dans {Heart of Darkness} de Conrad, à condition d'accepter une vision non restrictive du l'autobiographique. D'ailleurs, dans "autogéographie", le {bios} saute : pas de concept de "vie", avec son unité présumée et construite, mais {du soi}, de l'expérience.

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Tout cela c'est de l'outillage d'atelier, surtout n'y pas voir du monument. Il y a toujours eu des reprises de pensée dans les intervalles de la création, seulement maintenant le web les rend visible.

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