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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Aux arbres

Un envoi


<quote><small>Les arbres frissonnent plus finement, plus amplement, plus souplement, plus gracieusement, plus infiniment qu'homme ou femme sur cette terre et soulagent davantage.


Henri Michaux </small></quote>

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On marche dans la ville. On lève les yeux vers le ciel. Les arbres.


Je n'avais pas prévu qu'il y aurait autant d'arbres dans ces autochromes. Je n'avais pas même prévu ces autochromes. Au départ : l'émerveillement seul à ces petites vignettes coloriées. Je prenais des photos depuis longtemps, mais je ne suis pas photographe : trop souvent le réel s'éteignait sur l'image, avec dureté et froideur.


Puis, acquérir un iPhone, et découvrir cette application, [Lemeleme->http://itunes.apple.com/ca/app/lemeleme/id425911807?mt=8]. La photo alors d'emblée dessin, abstraction, départ de poésie : elle laisse place à rêver. Le procédé sera bientôt dépassé, sans doute, d'autres plus fins viendront : celui-là est élémentaire, une huitaine de choix de filtres aux couleurs assez criardes. On apprend petit à petit à le maîtriser, pourtant, en négociant l'image {entre} le réel et l'outil. Oui sans doute, tout cela sera daté bientôt, mais on aura au moins enregistré dans l'étonnement du début, en travaillant à créer depuis ce qui n'était prévu que comme gadget ou jeu. Cela va plus loin, participe du grand brassé numérique. L'impression de redécouvrir un peu, à travers ces vignettes, les débuts de la photographie couleur : d'où ce titre qui m'est venu au milieu du projet seulement, {autochromes}, nom donné aux premières images qui enregistraient d'elles-mêmes la couleur, sans recourir à la main du coloriste.


C'est de là, qu'on a écrit. Les photos d'aucune façon n'illustrent ici le texte. Sans elles, il n'y aurait pas eu écriture. Et l'écriture en retour devient image : c'est elle qui est autochrome, elle, qui {enregistre la couleur}. Un registre de petites vignettes de couleurs écrites : voilà ce que j'ai voulu.


Les arbres ont vite proliféré, courant d'un texte à l'autre, imposant leurs formes et leur lumière, leur temporalité. Ils m'ont toujours été proches, à moi qui vient des montagnes sylvestres. Je ne les attendais pas ici pourtant, dans la ville, dans le présent, au quotidien. Ils sont là, dans les rues, les parcs, sur les routes, et sont peut-être le liant du présent à l'enfance, de la ville aux bois. Je reviendrai souvent, depuis le béton même, à [l'amont->http://www.mahigan.ca/spip.php?article257], à l'enfance et à l'adolescence, à la campagne et à la forêt -- temps et espace d'avant ou de dehors la ville, même si cela n'existe plus sans doute. Enregistrer l'urbain en négatif, parce qu'il est fait de tant de choses qui ne sont, n'étaient pas lui : la ville n'est qu'émergence dans la combinaison, dressement.


D'autres figures s'apparaîtront, se répéteront : déchets, ciels, rues, bâtiments... Rien tel que les arbres, figure insistante, frondante. C'est aussi qu'elle porte la marque des saisons : feuilles qui se colorent et tombent, silhouettes grises, puis bourgeonnement, frondaison, et ainsi de suite, circulairement. Dès le premier autochrome, le temps saisonnier s'est imposé, par superposition de l'été et de l'automne. Maintenant on clôt cette série de vignettes, et l'été est à nos portes, symboliquement il est déjà installé. Les feuillages sont éclos et verts; les ports des arbres, larges et sûrs. L'été est saison quasi immobile, appesantie, et cela justifie à mes yeux d'arrêter ici la série. On a eu l'idée un temps de faire le tour d'une année, d'août à août, en boucle complète. On se contentera de cette dizaine de mois, et cette soixantaine d'autochromes : il faut boucler.


Car on s'apprête à partir : ce soir, je m'envole pour l'Asie, point de départ d'un voyage d'une durée indéterminée. Et je ne m'imagine pas continuer ces autochromes là-bas. Cette forme est née de la lenteur du quotidien, d'une certaine inertie même dans la vie, le corps, qui ont fait que j'ai dû aller chercher des poches d'air et de couleur dans la ville, autour de moi. Marcher, et regarder ce qu'autrement je n'aurais pas vu. Redécouvrir la ville malgré l'habitude. On arrête donc ici, et ça peut sembler arbitraire, et ça l'est sans doute : il n'y a plus d'achèvement possible, alors où et comment mettre fin à la marche? Je rêve qu'à partir de maintenant la vie en décide : je pars, et si je persiste dans le nomadisme, c'est le déplacement d'un lieu à un (radicalement) autre qui dicteront l'arrêt d'une série, alors laissée ouverte, inachevée.


On verra. Ce qui est sûr, c'est que l'élan neuf du voyage ne se prête plus à la patience de ces autochromes. Depuis plusieurs semaines, j'en ai écrit très peu, alors qu'à d'autres moments je revenais presque chaque jour pour ajouter au registre. Il est temps d'arrêter, mais ce n'est pas une fin.

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Aux arbres. Parce qu'ils sont la forme et ils sont la lumière. Ils sont le filtre. Et les couleurs. Ils sont l'enfance et ils sont la ville. Le passé et le présent. Les yeux levés sur leur feuillage, on sait la ville au-dessous, absentée et bruyante. Les arbres sont des silences dans le tumulte, des respirs dans l'étouffe. Les photographier aujourd'hui, sans nier ce qu'il y a en dessous, le béton dans quoi ils poussent. En disant leur fronde, j'ose dire leur {subversion} : on lève la tête, ils nous renversent.


Aux arbres, que je quitte : ils seront autres, en Asie, je ne suis pas certain d'y retrouver le liant affectif. Les arbres sont bien plus grands que nous, leurs couleurs plus riches : à moi les mots auront manqué, pour décrire le spectre des couleurs. Mes mots, mes petits mots : je ne suis pas peintre, ni photographe, ni coloriste. La couleur ne m'est pas technique : elle est affective, c'est une impression. Dans autochromes, il y a l'{auto} du soi : pas une autobiographie, mais l'empreinte vive du monde engravée dans la chambre intérieure.


Aux arbres. Les racines fissurent le béton; les feuillages explosent les verticales. Les arbres écrivent bien mieux que nous : ils sont la fronde qu'on ne sait pas être. Ils sont la politique de la rue. Ils sont la voix même de la terre, visible, éployée. Ils sont flambée et ils sont mémoire.


Aux arbres. Leur temps, leur durée. Une série de vignettes jamais ne suffira à recréer cela. On est insuffisant, on ne peut qu'indiquer. Les arbres comblent bien mieux que nous. On lève les yeux : même chétifs, même défoliés, ils ne souffrent pas le manque.


On n'est jamais qu'enfant, on colorie c'est tout.

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