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  • Photo du rédacteurMahigan Lepage

Bavardage intérieur

Peupler sa solitude, ou chercher son dépeupleur


Article initialement publié le 13 juillet 2009, alors que Le dernier des Mahigan était sous Wordpress. Transféré sous nouveau site en Spip le 15 septembre 2011.

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Quand tu es dans ta chambre et que tu n'attends personne, et que tu entends le bruit des voisins et dans la rue les fêtards, à qui t'en remettre sauf à toi dis-le. Peur, peur de la solitude mais sans elle tu ferais quoi. Tu irais dans les soirées et tu parlerais à quiconque, mais vite tu serais soûlé tu te connais. Tu écoutes les autres comme ta voix intérieure presque, trop, beaucoup trop attentivement. Alors les choses que tu écoutes et qui te dérangent c'est comme si toi-même tu les disais, et alors tu voudrais couper mais ça ne se fait pas, tu voudrais dire arrête mais ça ne se fait pas. Tu le sais bien, tu n'es pas un sauvage. Alors tu écoutes tu écoutes, mais trop. Quelqu'un de sensé n'écouterais plus, un garçon de café n'écouterais juste plus (tu ne pourrais pas être garçon de café, ou si tu l'étais après tout peut-être ça t'apprendrait à ne plus écouter). Quelqu'un de sensé enchaînerait sur autre chose, tu essayes parfois mais maladroitement d'enchaîner sur autre chose. Ils sont rares les gens qui ne te soûlent pas avoue-le. Soit ils parlent trop lentement, soit ils parlent trop et nerveusement. Alors va donc aller dans des soirées et te faire soûler et partir plein des autres et dans les autres toi n'avoir rien mis. C'est pour cela que quand tu tombes sur quelqu'un (rare) qui écoute il t'arrive de la soûler cette personne à ton tour et d'en éprouver honte, tu le sais tu le dis pendant que tu parles et après excuse-moi je parles trop j'ai honte. Mais avec ceux qui n'écoutes pas comment faire je ne sais pas. J'aurais besoin de temps. Mes propriétés sont comme les marais d'Henri Michaux j'aurais voulu écrire ce texte. Tout de suite comme ça rien à dire rien à imposer, ce n'est pas que je ne veuille pas mais je n'ai rien à sortir de mon sac, là tout de suite. Mais celui avec qui je suis lui il en a des ressources dans son sac, et il les sort et me les montre, et il me prend par la manche et m'entraîne dans ses propriétés, là il y a plein de choses plein d'objets et d'événements et de gens, mais désolé mais la plupart sont inintéressants oui je le dis comme ça, des objets des événements des gens je veux bien, mais à quoi ça sert si c'est inintéressant. Ou encore des pensées, des pensées intellectuelles, lentes, mais lentes, et prudentes, trop prudentes, et qu'est-ce que tu veux que j'en fasse moi de tes pensées lentes lentes, prudentes prudentes, sinon les détruire. Et comme ça ne se fait pas, je sais bien que ça ne se fait pas, je ne suis pas un sauvage, comme ça ne se fait pas donc, je ne dis rien, je me renfrogne, j'attends que ça finisse. Mais parfois ça ne finit pas. Non! ça ne finit pas toujours, c'est si lent, c'est si long, des pensées intellectuelles, je le sais, j'en ai, de moins en moins heureusement. J'écoute les gens me parler longuement, ou me parler nerveusement, et je suis attentif malgré moi aux propos, aux objets, aux pensées, aux événements, aux gens dont on me parle, et c'est comme si moi-même je disais toutes ces choses, alors évidemment ça m'énerve, alors évidemment je m'énerve. Mais je ne le montre pas trop, je ne suis pas un sauvage. Je me renfrogne un peu, je fronce les sourcils sûrement, c'est tout. Bon, quand c'est trop, ça paraît, on s'en rend compte parfois, on me l'a dit déjà, sans comprendre pourquoi je me renfrognais, sans comprendre pourquoi je fronçais les sourcils, mais on m'a dit déjà qu'est-ce qu'il y a, ou des phrases du genre, et moi rien, mais oui il y a quelque chose, il y a que tu parles trop, et trop lentement, ou trop vite, et que tu ne me laisse pas le temps de respirer, voilà ce qu'il y a. Y a-t-il au fond d'autres défauts chez l'être humain que des défauts de parole, parler trop, parler pas assez, parler trop vite, pas assez vite, quand il faut pas, trop fort (ma voisine slave par exemple, mais tous les Slaves parlent fort, si fort, c'en est insupportable), trop bas, bégayer etc. À part mordre, ou battre, je ne vois personnellement que des défauts de parole chez l'être humain, et c'est bien assez, partout des défauts de parole, agressants, bien plus agressants qu'on le croit. Donc je sortirais pour me faire agresser, comme ça, docilement, volontairement, quand j'ai les livres chez moi qui parlent pareil pour ma voix intérieure, mais eux la différence voilà c'est que dès qu'ils me soûlent flap! je leur ferme le clapet d'un tournemain. C'est pourquoi, en conclusion, je reste dans ma chambre tout seul avec mes livres au lieu de sortir dans les soirées, même si j'ai peur de la solitude, même si j'ai mal à ma solitude.

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