Birmanie, 2 | oh Mandalay
Je suis parti comme ça, dans le soir tombé, avec la konya qui me brûlait la bouche
<quote><small> Billet initialement publié le 6 septembre 2012 sur mon blog voyage La Machine ronde (machineronde.net), maintenant fermé.</small></quote>
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De [Rangoon->http://mahigan.ca/spip.php?article364], j’ai pris l’autobus vers la deuxième plus grande ville de Birmanie : Mandalay.
Je me souviendrai toujours du trajet vers la station d’autobus. Rien ne s’est passé de si spécial pourtant. Je devais prendre un taxi pick-up depuis l’agence de transport à 18h30, mais moi je croyais que c’était 19h, alors finalement j’ai dû prendre un taxi. Cher, 6000 kiat (6 dollars), mais le soir était tombé, c’était loin, les taxis n’avaient pas trop envie d’aller par là.
J’étais arrivé à Rangoon l’avant-veille au soir seulement, la Birmanie pour moi c’était encore l’inconnu. De rouler dans la nuit, sur les rues et routes sans lampadaires, à l’arrière d’un taxi qui va trop vite à mon goût… Voir les phares de voitures croisées venir droit sur nous, puis dévier à la dernière minute… Ne pas savoir ce qui m’attend au-devant, ni à la station d’autobus (vais-je y arriver?), ni sur la route, ni à Mandalay… Toute cette incertitude, toute cette nuit filant autour de moi : j’avais peur, et en même temps – {parce que} j’avais peur - j’éprouvais une joie très grande, une excitation, le sentiment du vivant.
La “station” d’autobus n’était pas une station, mais un immense parking adossé à d’interminables rangées d’agences de transport… Le taxi a bien dû rouler 10 minutes parmi les gens, les bus, les allées, avant de trouver mon agence à moi. Là-bas, j’ai été accueilli comme un roi (la déférence envers les Occidentaux, en particulier caucasiens, est presque trop accusée : on nous appelle d’un mot qui veut dire {leader}, à ce qu’il paraît). J’étais le seul farang de l’agence; je serais le seul du bus. On a pris mon sac, on m’a fait asseoir, on m’a servi du café. Tout le monde m’aidait. Un des employés partageait son enthousiasme à un de ses collègues : “Il vient du Canada!” “He comes from Canada!”
Le bus était extrêmement confortable – le plus confortable que j’aie jamais pris en Asie. Sièges larges, air climatisé, etc. J’étais assis à côté d’un moine, pas très jasant (il ne parlait peut-être pas l’anglais) et c’est tant mieux. Dans certains bus asiatiques comme celui-ci, il y a une hôtesse (une hôtesse de terre?), comme dans les avions. Elle distribue de la nourriture, elle guide les gens, elle répond à leurs besoins. Et souvent, elle fait des annonces dans un micro très “écho”, qui résonne comme en un karaoke – annonces auxquelles je ne comprenais évidemment rien, mais qui me fascinaient, chaque phrase semblant finir sur la même rafale de mots :
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Confortable, donc, mais bruyant, si bruyant! Toute la nuit, se relayaient la radio, la télé, les transistors personnels des passagers, les annonces au micro… Ça n’a pas l’air de les déranger, les Birmans. Heureusement, j’avais mes bouchons d’oreilles : indispensables équipement du voyageur.
Puis la descente à Mandalay, dans un parking encore plus chaotique et raboteux qu’à Rangoon. On paye un taxi-scooter pour se rendre dans le centre de la ville, dans une guest house sans fenêtres mais bon, c’est pas très important.
De Mandalay, j’irai à Hsipaw, dans le Nord-Est montagneux – j’en reparlerai dans un autre billet. Puis je reviendrai. En tout, j’aurai donc passé là quatre ou cinq jours quand même. Assez de temps pour explorer certains recoins de la ville.
Beaucoup de voyageurs rencontrés me disaient ne pas avoir aimé Mandalay, y être passés seulement en transit vers une autre destination. C’est pourtant là que j’ai vécu le meilleur de la Birmanie. Mais c’était sans doute un hasard : rien de vraiment particulier, ici. Une ville assez étalée, étonnamment rationnelle (un quadrillé de rues comme à New York ou Montréal, qui facilite l’orientation). Des scooters partout, bien sûr. Du local, du local, encore du local : même dans ce que l’on appelle le quartier “backpacker”, pas de bars animés, pas de boîtes de nuit, pas beaucoup de repères à touristes – à peine deux restos {un peu} plus sophistiqués, quelques auberges…
C’est là, dans le centre, que j’ai fait l’expérience de Mandalay. Oh, je suis bien allé quelquefois au-delà : j’ai loué un vélo une journée, j’ai décrit des cercles plus amples dans la ville. J’ai rejoint le grand fleuve Irrawaddy (j’aurais bien voulu le descendre en bateau, c’est possible, mais le temps m’a manqué). Des hommes et des femmes habitent les berges, ou parfois le fleuve lui-même, sur d’étonnantes maisons flottant sur des radeaux de bambou :
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On peut observer aussi, ici et ailleurs en Birmanie, de gros véhicules de travail, sortes de croisement entre un camion et un tracteur :
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Mais le plus clair de mes découvertes, c’est dans le centre ou près du centre que je les ai faites. En marchant dans les rues. En allant dans les salons de thé, dans les cafés. En parlant avec les chauffeurs de taxi-scooter.
Chaque matin, j’allais dans un café que j’aimais, où on servait de bonnes pâtisseries, et aussi des samosas, etc. C’étaient des enfants qui me servaient, ce qui peut paraître choquant, mais c’est une autre réalité : ils avaient l’air contents de travailler, les jeunes. Ils se massaient en nuée autour de moi, c’était à qui prendrait la commande le plus vite, à qui aurait le plaisir de servir l’étranger. Ils avaient un briquet accroché au cou, pour servir les clients. J’ai pris des photos, avec eux, ça les amusait bien.
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Et puis, quand je suis revenu de Hsipaw, je n’avais plus que mes sandales, j’avais oublié mes chaussures dans la guest house là-bas. Deux gars musulmans que j’ai rencontrés dans le même café ont voulu m’aider. Ils ont essayé d’appeler à Hsipaw, mais la ligne téléphonique était coupée (les communications ne sont pas fiables, en Birmanie). Qu’importe, on a discuté, tous les trois. Une heure durant au moins. Ils voulaient savoir comment c’était, au Canada. Moi aussi j’aurais voulu savoir comment c’est, en Birmanie. Mais leur curiosité était plus forte que la mienne : le pays a été clos si longtemps… On a parlé de science et de religion, d’Einstein et du Coran! Une discussion dans la différence, comme on n’en pas souvent dans le monde uniformisé d’aujourd’hui.
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Le soir, je marchais souvent dans le quartier. J’apportais ma lampe-torche, moins pour m’éclairer que pour me rendre visible quand je traversais la rue : les rues sont sombres, pas de lampadaires, ça fait peur…
Pas loin, il y avait un petit marché de nuit. Avec ces bouquinistes qui étendent les livres sur des couvertures au milieu de la rue. Des livres en birmans, pour la plupart, quelques-une en anglais aussi. Je voyais souvent des moines traîner par-là : à mon avis ce sont les plus grands lecteurs du pays…
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Et au détour d’une rue, enfin, découvrir des jeunes dans la vingtaine jouant au [aki->http://fr.wikipedia.org/wiki/Footbag]. Non, pas tout à fait au aki… Ce n’était pas un sac de sable qu’ils frappaient, mais une balle en osier. Reste que le principe était le même : frapper la balle avec les pieds et le corps, sans les mains, la maintenir en l’air et la passer d’un joueur à l’autre. Je suis horriblement mauvais dans presque tous les sports, sauf au aki : c’était le sport national de notre adolescence… L’occasion était trop belle. J’ai joué avec les jeunes, et j’ai eu grand plaisir. Les communications sont difficiles avec les habitants, à cause de la langue. Là, pas de problème : on se parlait avec nos corps. Les jeunes et les gens alentour trouvaient ça bien drôle qu’un étranger arrive à jouer à leur jeu. On a ri. Et à la fin, par amitié, ils m’ont donné une mâchée de bétel, la {konya}, une de ces chiques qui leur font les dents tout rouges et tout pourries.
Alors je suis parti comme ça, dans le soir tombé, avec la konya qui me brûlait la bouche, crachant des giclées de salive rougeâtre sur le sol… Oh Mandalay!
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