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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Birmanie, 4 | crochet par Bagan

Rendez-vous manqué, le pays ne se donne pas toujours à nous


<quote><small> Billet initialement publié le 8 septembre 2012 sur mon blog voyage La Machine ronde (machineronde.net), maintenant fermé.</small></quote>

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Je n’avais pas prévu aller à Bagan. Mais voilà : toujours cette peur infondée de manquer quelque chose de marquant… Un type rencontré à Rangoon m’a dit cette phrase, à laquelle je repense souvent : “En voyage, il ne faut pas voir, il faut faire.” Ce qu’on appelle le {tourisme de vision } est en fait un voyeurisme. {Sight seeing, whale watching } (est-ce que les baleines vont près des rives pour mater les humains?)… ou seulement aller {voir} des moines manger, en tant que spectateur, sans participer au repas. Tout cela me semble nuisible, et pour le voyageur, et pour l’habitant.


Reste que je suis quand même allé à Bagan. Pourquoi? Pour {voir} les pagodes. La région de Bagan, c’est un immense site archéologique, où s’étendent des champs de pagodes. Vous pouvez [voir des images->http://images.google.fr/search?num=10&hl=fr&site=&tbm=isch&source=hp&biw=1391&bih=720&q=bagan&oq=bagan&gs_l=img.3..0l6j0i10j0j0i10j0.1373.1722.0.2080.5.5.0.0.0.0.188.444.1j2.3.0...0.0...1ac.1.dTTUbtIR1Dc] un peu partout sur le web. Vous n’en verrez pas beaucoup ici…


Ce que j’ai à dire de Bagan ne concerne pas les pagodes. Ne concerne même pas Bagan, à la limite. Bien sûr, j’ai essayé d’aller {voir les pagodes}. J’ai loué une bicyclette, je me suis lancé à l’aventure dans la plaine centrale. Mais c’était une bicyclette de ville, au demeurant beaucoup trop petite pour moi. Or les chemins sont pour la plupart de terre, ou plutôt de sable : les roues s’y enfoncent, très difficile d’y progresser avec un vélo comme celui-là…


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J’ai été me perdre sur un petit chemin de traverse. J’ai finalement décidé de faire un arrêt dans une pagode au hasard, une toute petite, anonyme, arbitraire – fleurie pourtant : les Birmans n’oublient aucune représentation de Bouddha.


Je suis entré, je me suis assis en {sirène} (comme ça qu’il faut s’asseoir, pour éviter de pointer les orteils vers Bouddha). J’ai {médité}, si on peut dire. Pensé à toutes ces constructions, leur pourquoi. Pourquoi, en effet, avoir multiplié les pagodes à ce point? Il y en a des centaines… Les bâtisseurs ne sentaient-ils pas un certain dérisoire, lorsqu’ils construisaient une petite pagode comme celle-là, qui semble tellement négligeable en regard de certaines autres, immenses?


Des réflexions comme ça… Après, j’aurais bien voulu aller voir de plus grandes pagodes, question de ne pas manquer tous les must see! (Insignifiante et désindividualisante invention, que ces {must see}). Mais le vélo n’avançait pas, j’avais les genoux dans le guidon, j’avais mal aux cuisses… Et puis je n’avais pas apporté assez d’eau. J’ai dû rentrer. J’aurais retenté le coup, bien sûr, si j’étais resté, mais le lendemain je repartais, direction Inle Lake.


Et puis, j’en avais un peu contre Bagan, pour une autre raison… Le premier soir, j’ai dormi dans une guest house à Nyaug U. Elle semblait correcte. Jusqu’à ce que le lendemain, je me réveille piqué de {partout}, mais alors là de partout, par des moustiques. Sur les bras, sur le dos : des dizaines et des dizaines de piqûres… Je me lève, j’inspecte la chambre : à côté du climatiseur, une fente énorme par laquelle se sont introduits des moustiques affamés. D’autant plus que, juste de l’autre côté du mur, était une sorte de réservoir d’eau à moitié croupissante…


Je n’étais pas content. Seule fois où j’ai fait une sorte de scène en Birmanie, où les gens sont si patients et si gentils. Je suis allé chercher le type à l’accueil, je lui ai dit : “J’ai quelque chose à te montrer.” Puis, une fois dans la chambre, je lui ai fait voir la fente dans le mur. Puis j’ai arraché ma chemise (littéralement!) et je lui ai montré mon dos, mes bras, la cinquantaine de piqûres. “Do I pay for this?” “Do I pay for this?” Poser la question, c’était y répondre. Je suis parti sur le champ, sans payer. Le type était désolé, et j’ai eu honte après-coup : c’est un peu trop pitoyable, un Asiatique, quand ça perd la face. On a presque envie de s’excuser.


J’avais peur d’avoir chopé la dengue ou la malaria : c’est pour ça que j’ai réagi aussi fort. De retour Bangkok, 5 jours plus tard, je prendrais un traitement antimalaria, sur les conseils d’une amie médecin, juste pour être sûr. Il y a beaucoup de paludisme en Birmanie. C’est même alors qu’il était hospitalisé à Rangoon pour une infection de malaria que le général Aung San a rencontré sa femme, alors infirmière. De leur mariage naîtrait Aung San Suu Kyi…


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Alors le jour suivant, j’ai quitté Bagan et ses pagodes. Rendez-vous manqué, oui : le voyage c’est ça aussi, le pays ne se donne pas toujours à nous. D’autres parleront de Bagan différemment de moi. C’est pour ça qu’il ne faut pas écouter ceux qui nous disent, en voyage, {Là c’est super, là c’est merdique…} Et il y en a toujours, pour vous dire cela : chacun a son opinion, son jugement sur chaque endroit visité. Les expériences restent trop subjectives et trop fragmentaires pour que l’on puisse s’y fier. Il faut aller, seulement. Et arriver en chaque lieu comme une feuille vierge, si l’on veut que le voyage y écrive.


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Ça n’aura pas été perdu pour autant, ce crochet à Bagan (ce n’est jamais perdu). Dans le bus vers Inle Lake, je ferais une rencontre importante. Le trajet était long, la route sinueuse. Dans le fond du bus, j’ai fait connaissance avec un type. D’origine espagnol, mais ayant quitté l’Espagne à 13 ans, parlant un anglais impeccable. Sur la route depuis 5 ans : un voyageur aguerri. Il me dirait: “I’m a travel blogger.” Il m’a dit cela comme un autre m’aurait dit : “Je suis cuisinier”. Je ne savais pas qu’on pouvait en faire un statut, presque une profession. “Oui, je gagne en moyenne 1,000 $US par mois”, qu’il me dirait. “Avec la pub.”


Alors tout s’est mis en place très vite dans ma tête. J’avais déjà un petit blog voyage. J’avais l’intention de voyager beaucoup. Je bloguais déjà depuis plusieurs années. Pourquoi ne pas tenter le coup, moi aussi? Nicolas Bouvier envoyait des textes à GEO pour faire un peu de fric, aujourd’hui les blogs prennent de plus en plus cet espace-là. Je serais incapable de bloguer pour des raisons purement lucratives, mais puisque je bloguais déjà, il s’agissait seulement d’établir une plateforme plus construite et plus suivie. Et si ça ne marche pas, tant pis : j’ai tant de plaisir à le faire, de toute façon.


Parce qu’il s’agit de vivre en artiste dans le monde d’aujourd’hui, et que ce n’est pas simple. Ces jours-ci, je lance des bouteilles à la mer; je contacte des journaux, pour proposer des chroniques voyage. Peut-être tout ça mis ensemble, je pourrais joindre les deux bouts… Et ce que je trouve excitant, dans le filon voyage, c’est qu’il permet de rejoindre des gens qui normalement ne lisent pas de littérature, et de les renvoyer vers des textes plus denses et excessifs, {à partir} du voyage.


Tout était prêt pour la Machine ronde. Il ne manquait que cette rencontre, dans le bus direction Inle Lake… Je n’ai pas noté son email, ni l’adresse de son site, et je le regrette.


Mais en même temps, c’est aussi ça, l’idée de la MR : faire sans modèle. Se construire dans le voyage.


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