Couleurs de l'horreur
Clinquant d'une Halloween de pacotille, et quelques figures de nos peurs vraies
C'est une vieille fête anglo-saxonne, qui s'est imposée ici, a remplacé ou relégué la tradition européenne du Carnaval. L'Halloween a son visage propre, plus sombre. Elle vient d'ailleurs de la terre anguleuse où s'est inventé le [roman noir->http://www.fabula.org/actualites/roman-noir-de-jerome-prieur_15596.php]. Elle garde quelque chose de l'esprit des forêts anglaises, de leurs arbres centenaires et tordus, des chaumières où s'embusque l'horreur, des contes et des légendes typiquement saxons.
Parce qu'elle tombe dans le temps des courges, sans doute, on a associé durablement la fête à la citrouille... Partout on voit de ces fruits vidés, dans lesquels on a découpé des visages grimaçants, et qu'on éclaire intérieurement (traditionnellement c'était au moyen de chandelles, mais maintenant on voit plus souvent des lampes électriques bien sûr). Si bien que l'orangé, cette couleur si bénigne, si tropicale, est devenue suspecte : elle connote désormais une sorte d'esthétique de l'horreur (mais c'est un orangé sombre, très foncé et terreux - d'ailleurs est-ce aussi de surgir de la terre, et de gonfler démesurément, que la citrouille est devenue de l'horreur le symbole?).
Mais c'est une horreur à laquelle plus personne ne croit vraiment. Il y avait un temps, sans doute, où cela signifiait. En ce moment de la saison (fin-octobre) où l'on s'enfonce dans la nuit, où les jours raccourcissent sérieusement, il y a de quoi avoir peur. Au crépuscule hâtif, on s'enferme dans nos chaumières, on n'ose plus aller dehors. Le monde du jour et des adultes, le monde du travail et du souci tranquillement s'envase. Un autre monde, plus jeune et plus vif, surgit des forêts, de la nuit, pour nous hanter. Alors qu'on se berce et se rassure aux chandelles, soudain on entend cogner à la porte : on sursaute, puis on va ouvrir. Des gnomes ou des nains, des monstres teigneux sont là, abrités sous masques. Ils ont pour eux le nombre et ils nous menacent : "Trick or treat!" (L'anthropologue Serge Bouchard a rappelé une fois, à raison, dans ses [{Chemins de travers}->http://www.radio-canada.ca/emissions/les_chemins_de_travers/2011-2012/], que l'Halloween est la fête des enfants alors que Noël est la fête des parents : dans deux mois on devra s'avancer à visage découvert vers le vieux monsieur à la barbe blanche, et grimper sur ses genoux pour être jugé ("As-tu été sage cette année?").)
Souvenir des films et des séries qu'on diffusait à la télé dans le temps de l'Halloween quand on était enfant, toujours les mêmes : {Octobre}, {Vendredi 13}... Plus tard, on découvrirait des formes plus hautes de l'horreur (Poe, Conrad...). Mais ce qu'on nous avait d'abord {vendu} (car l'Halloween, déjà dans les années 1980, était devenue fête commerciale), c'était cette horreur de pacotille - cette horreur orangée, cette horreur citrouille... C'est à la télé. C'est dans les {pharmacies} (si peu pharmacie en notre Amérique). C'est au balcon et aux portes des maisons. Des citrouilles de plastique. Des fantômes qui n'effraient pas. Des parterres transformés en cimetières à la noix.
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C'est à vous insulter les morts.
Les fous font bien plus peur. Les itinérants font bien plus peur. Les junkies font bien plus peur. On est dans les villes et on fait semblant de s'effrayer des monstres des forêts, des croquemitaines surannés. Qu'ils aillent aux portes : les pauvres, les dopés, les handicapés, les fous, les abîmés... Voilà nos peurs aujourd'hui dans les villes. Mais méfiance : eux n'ont pas couleurs si voyantes. Même souvent ils s'habillent comme nous, sont à peine plus dépenaillés. Ils portent seulement parfois des masques de barbe, de rides ou de tatouages. Ils hantent les rues, se couchent dans le métro, dorment parfois dans nos entrées de blocs appartements, tout près de nos corps en sommeil.
Figures surgies du béton : attention, à votre porte, ils avancent!
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