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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Coulées, éditions Mémoire d'encrier | maintenant en librairie

Trois retraversées de paysages autobiographiques


Je n'ai pas trouvé le temps d'en parler ici, dans le tourbillon des préparatifs pour le grand départ en Asie, d'où j'écris à présent ce billet.


Depuis la semaine dernière, {Coulées} est disponible dans les librairies du Québec. Pour les lecteurs français, il sera bientôt possible de le commander sur Amazon.fr, pour un prix raisonnable, comme pour la version papier de {Vers l'Ouest} ([16€50 et livraison gratuite->http://www.amazon.fr/Vers-lOuest-Lepage-Mahigan/dp/2923713591/ref=sr_1_5?ie=UTF8&qid=1340331149&sr=8-5]). Mémoire d'encrier prépare aussi une version numérique (epub) de {Coulées}, que l'on espère prête d'ici une semaine ou deux.


C'est un chantier commencé il y a quatre ans, à l'été 2008, quelques jours à peine avant de rentrer au Québec au terme d'un séjour d'un an à Paris (le projet [{Relief}->http://www.mahigan.ca/spip.php?article104] avait été lancé dans un ébranlement symétrique, depuis Montréal, quelques jours à peine avant de {partir} à Paris...). Au départ, il y avait cinq coulées. Je les ai écrites très vite, sans rien relire, dans mon appartement sur De Lorimier à Montréal (sauf les premières pages, donc, écrites à Paris). L'idée, c'était de tout dire, de tout lâcher, quitte à épuiser les cartouches. J'étais encore alors animé par ce désir qu'écrire ne soit qu'une parenthèse, vite -- très vite - refermée. Parce que j'avais peur que cela m'emporte -- finalement je me suis laissé prendre, je n'ai pas eu le choix, mais de cet emportement, je n'avais pas à avoir peur.


Évidemment, on ne peut pas {tout} dire. Le tout est trop chaotique, trop déstructuré. Il faut choisir. J'apprendrais cela, à choisir, à donner de la cohésion. {Coulées} a d'abord été pour moi une formidable école d'écriture. Je me suis permis des erreurs, des errements, des excès.


[{Vers l'Ouest}->http://www.publie.net/fr/ebook/9782814502857/vers-l-ouest] était d'abord l'une des ces coulées, la quatrième. C'est probablement la seule qui ait tombé juste au premier jet. Je ne m'en suis pas rendu compte par moi-même : c'est [François Bon->http://tierslivre.net/], à qui j'avais faire lire mes coulées, qui jugerait ce texte valide et le publierait. J'avais déjà décidé, à ce moment, que {Coulées} serait un triptyque, composé des trois premiers textes seulement. J'avais exclu les deux derniers, dont {Vers l'Ouest}, qui connaîtrait un autre destin. Le dernier, appelé "Ville", était raté, déstructuré : FB confirmerait ce sentiment.


Je savais la cohérence plus grande entre les trois premiers textes : "Patapédia", "Outaouais" et "Saint-Laurent". Chaque fois, il s'est agi de retraverser un territoire autobiographique, en recréant des trajets là où il n'y avait que des fragments, des morceaux de chemins. Pour chaque pan du triptyque, une couleur particulière : le rouge de la douleur dans Patapédia, le noir de la colère et de la souffrance dans l'Outaouais, le bleu du revif dans le Bas-Saint-Laurent.


Ce sont des textes autobiographiques, je ne m'en cache pas. Même s'ils sont plein de faux souvenirs, d'imprécisions et aussi de distorsions volontaires (pour la cohérence, j'ai joué sur les temps, omis certains épisodes biographiques, etc.). J'ai aussi posé un voile de pudeur sur les événements qui concernent trop intimement d'autres que moi.


Mais là n'est pas le plus important. Séparer le vrai du faux ne mène à rien. Ce qui compte, c'est la création, la construction, et cela vaut autant pour la fiction que pour la non-fiction. Les contenus de récits peuvent bien paraître réels, et le sont parfois. Reste qu'ils n'étaient pas {donnés}. Qu'est-ce qu'une vie, qu'est-ce que {votre} vie, quand vous la considérez mentalement? Un fatras. Un désordre. Un chaos. Des fragments de visages, des morceaux de temps, des tronçons de chemins. Tout le travail de {Coulées} -- travail élémentaire, qui est celui de la prose même -- a été de mettre de l'ordre là-dedans. En recréant des trajets : trajets impossibles, parce qu'articulés à différentes strates temporelles. En donnant une couleur aussi : ton et teinte qui assurent une certaine cohérence. Ainsi, chaque événement, chaque contenu de {Coulées} est articulé au territoire remembré. Si je parle d'une blonde que j'ai eue, je dis comment j'allais la cueillir en voiture chez elle et comment on se baladait ensemble. Si je parle d'amis de la famille qui ont quitté les Plateaux où j'ai grandi, je dis les rangs vidés, les maisons abandonnées. Là est le travail, là est l'effort, et puisqu'il n'y a rien de cette cohésion qui soit donné, il ne s'agit pas de {témoigner}, mais de créer, recréer.


Ce n'est pas un roman (même si j'ai laissé encore une fois l'éditeur mettre la mention sur le livre : tant pis). Ce ne sont pas non plus des nouvelles (même si on a pu le dire). Ce sont des récits. Trois récits qui n'en forment finalement qu'un seul, multiple, tripartite. D'un fichier démesuré de plusieurs centaines de pages, j'aurai abouti, de réécritures en réécritures, à ce petit livre de cent pages -- pas plus long, donc, que {Vers l'Ouest}, qui n'était au départ que l'une des cinq coulées... C'est un des textes qui m'aura demandé le plus d'effort, de temps, de sueur. Je crois bien l'avoir réécrit quatre fois -- je ne parle pas seulement de retravailler, mais de {réécrire}, largement et en profondeur. Cela donne, au final, une écriture assez lente, consciente d'elle-même -- une écriture palimpseste, à couches multiples.


On a lancé le livre cinq jours à peine avant mon départ, et c'est très libérateur comme sentiment, que de tourner une page -- une longue et difficile page -- juste avant de m'envoler. Ces récits appartiennent au pays, au territoire, à l'{ici} (d'où, aux côtés de Brault, cet exergue de Rimbaud : "On ne part pas. -- Reprenons les chemins d'ici..."). Il m'a fallu regarder derrière, vers l'enfance, vers l'adolescence. Ne pas partir tout de suite; revenir à ces territoires, même si je n'en avais pas envie. Retourner vers l'amont, pour s'en libérer -- et repartir plus leste, plus léger vers l'avant et l'ailleurs.


Merci à Constance Harrison-Julien, compagne au commencement du projet; à François Bon, pour l'accompagnement dans les premières réécritures; à [Arnaud Maïsetti->http://arnaudmaisetti.net/], pour la lecture tardive qui a contribué à me convaincre de franchir le saut de la publication. Merci à Virginie Turcotte et Tiphaine Bambi Delahaye, pour les révisions, et merci à Rodney Saint-Éloi, éditeur de[ Mémoire d'encrier->http://memoiredencrier.com/], qui a cru en ce texte et a vu l'amitié qui le traversait. En le publiant juste avant de partir, on l'a voulu un cadeau et un au revoir aux amis du pays : une façon de laisser un peu de moi là-bas, ici.


Merci à Éloi, à Peanut, aux amis de Rimouski, à ma soeur, mes parents : pour l'expérience partagée, même dans ses âpretés.


Ce livre est loin d'être privé pour autant. Les territoires éclatés, les séparations, le nouveau rapport ville-campagne, les expériences de drogue, les mobilités : cela concerne tant d'enfants d'une époque, toute une génération... À vous aussi, donc, soeurs en histoire, frères en territoire : ces {Coulées}.

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