Country highway
Les autoroutes de Grungthep ne ramènent pas à la maison
L'étrangeté hier en quittant Grungthep (Bangkok) en taxi vers l'aéroport, la musique dans les hauts-parleurs c'était {Country Road}, route de campagne, alors qu'on roulait sur l'autoroute à péage, {toll highway}, dans l'hypermodernité sauvage de la ville hérissée de bétons, toute en investissements dressés.
{Country road, bring me home}... maison, mais quelle maison? je n'ai plus de maison, ça va faire deux ans que je suis parti, je n'oublie pas d'où je viens, mais je n'ai pas maison dans les montagnes de la Patapédia, quand même j'en viens.
L'ironie de ce monde qui récupère des musiques dont la nostalgie même ne nous est plus accessible, non je ne suis pas nostalgique du temps où j'avais une maison, où chacun ou presque avait mémoire d'un coin de pays qu'il pouvait appeler foyer, chaleur, {home}.
La ville est plus vraie, et la musique n'est vraie dans cette ville qu'en tant que divertissement, comme s'amuser de se rappeler le temps où on pouvait encore être nostalgique, et n'avoir même pas nostalgie de cette nostalgie-là.
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Le seul sens de ce contraste, pour moi, et c'est à ça que je pensais en regardant par la fenêtre, roulant vers l'aéroport, c'est la tension où je me trouve, entre revenir et rester, ou revenir et aller ailleurs.
Ça fait longtemps que l'élastique se tend, mais là depuis quelques semaines la tension est maximale, ça menace de péter, c'est-à-dire que c'est le temps des choix, ou des hasards, des bifurcations en tout cas, des partages.
Depuis que je suis parti en Asie que je me demande ce que je ferai après, surtout depuis la deuxième année en fait, oh j'ai eu des tas d'idées, échafaudé des projets, mais rien qui suscite complet enthousiasme, enthousiasme ça veut dire impulsion de bouger, je crois.
Bouger, bouger, j'ai compris au moins que j'étais nomade, disons ça comme ça, il n'y a vraiment que dans le mouvement que je sois bien, dans la mobilité, au début j'ai cru que ça voulait dire un sac à dos et rien de plus mais non, pas la force pour ça, c'est seulement pour moi de n'avoir pas trop profond ancrage, ou bien plusieurs ancrages qui permettent de passer d'un lieu à l'autre avant l'encroûtement.
À intervalles rétrécissants, de mois en mois, de semaine en semaine, et même de jour en jour, je n'exagère pas, les plans qui changent, on revient, on revient pas, on fait ceci, on fait cela, on va là-bas, non, oui, non, oui.
J'ai même une fois acheté un billet d'avion retour, j'avais 24 heures pour l'annuler sans frais (hors frais de bankstérisme Visa), ce que j'ai fait, n'arrivant pas à me faire à l'idée de, c'était trop tôt.
Devant l'horizon de retour, fuir en sens inverse, descendre à Grungthep pour aller voir le marché des profs de français là-bas, dans les universités surtout, juste voir, rester peut-être si, peur de revenir en fait, le marché de toute façon il est pas bon, le salaire non plus.
Finalement une idée qui resurgit, après des mois de latence, je l'avais éliminée avant, je ne sais plus trop pourquoi, probablement parce qu'elle implique d'autres études, et que j'ai déjà beaucoup donné de ce côté, maintenant je la passe en réexamen, cette idée, et je ne le trouve pas seulement bonne, je la trouve excellente, comme l'impression que c'est fait pour moi, ça, vraiment, même s'il faudra quelques années.
Je garde encore ça secret, les plans ont trop souvent changé, il faudra voir si elle peut tenir la route quelques mois, alors ce sera qu'elle est solide, mais j'y crois, vraiment, dedans j'y crois, déjà, maintenant.
Et comme il y a des dates limites à respecter, et que pas envie de perdre un an, décidé de remonter à Chiang Mai quelques jours plus tôt que prévu, pour y travailler, mais tout ça ne dit pas le dedans, les mois de tensions, l'anxiété, certains soirs récents de découragement, par trop de fatigue, puis cette idée, mais encore instable, les brassages que ça implique, les changements, pas beaucoup de sommeil.
Dans cet état mental, le trajet vers l'aéroport, travelling, le béton, les camions, surélevés dans le ciel, les buildings, et cette chanson, {Country Road}, tellement ironique.
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<small>{Enfin ce chauffeur, qui c'est, qui en conduisant filmait aussi, comme moi à l'arrière, lui en posant l'appareil sur le volant, un artiste, devenu chauffeur? je ne sais pas, je ne lui ai pas demandé, je n'avais pas le coeur du tout à la conversation. M'étonnait en tout cas que chauffeur de taxi, il n'ait pas lassitude de sa ville, et la regarde, la regarde vraiment, la capte, pour quel usage? en travelling.}</small>
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