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Photo du rédacteurMahigan Lepage

De l'interprétation et du chapeau panama

Chemins qu'on ouvre sans savoir où ils mènent


Où on a disparu, en Équateur? Je suis moins présent ici, moins présent sur Facebook et Twitter, aussi.


Les deux dernières années ont été une chance inouïe. Des rencontres, des bourses, qui m'ont permis de continuer et prolonger le voyage. J'ai eu le temps d'écrire, de bloguer, de rénover mon site.


Mais je savais cette vie temporaire, bien sûr, et que j'aurais tôt ou tard à trouver comment frayer mon chemin plus avant. Avec mes études, longues pourtant, peu d'options vraiment viables sinon revenir au Québec et devenir prof au cégep ou à l'université. Mais quelle place pour la création, dans ces lieux? À l'université, laminage de tout ce qui s'écarte de l'idéologie savante et objectivante, tant et si bien que même les profs dits "de création" doivent parler de "recherche-création" pour se rendre acceptables. La création littéraire, si on veut l'appeler ainsi, n'a pas sa place dans les sciences humaines. Elle a sa place dans les Beaux Arts, comme aux États-Unis et au Canada anglais. Et non, ça ne veut pas dire qu'on ne lit pas et qu'on ne parle pas des textes autres, ni même qu'on n'utilise pas des concepts, mais seulement qu'on ne parle pas dans la distance. Qu'on rejette la posture du critique littéraire contemporain dont parlait Gracq:


<quote><small>Ce qui distingue d'abord la critique littéraire de notre époque de la critique des siècles précédents, c'est une position de départ jamais formulée, tellement elle paraît à chacune de ces époques aller de soi. Pour le critique des temps passés, cette position se formule ainsi : "Voici de quelle manière, et pour quelles raisons, un esprit éclairé doit juger l'oeuvre de M.X.". Pour celui de l'époque contemporaine : "Les sciences humaines sont ma caution. J'en sais donc a priori plus long sur le sens et la structure de l'oeuvre de M.X. que l'auteur lui-même." Le premier met en doute la capacité de l'auteur à juger son oeuvre, le second à la comprendre. Le premier se borne à dénier à l'écrivain l'accès à la juste perception des valeurs, le second le relègue au rang de simple morceau de nature, produite et non productrice, sécrétion du langage : {natura naturata}.<small></quote>


Les "objets de recherche", les phrases qu'on répète pendant trois décennies (sur le retour au réel ou je ne sais pas quoi) comme énoncés de savoir inébranlable, ce n'est pas pour moi. Je n'y crois pas. J'ai mille raisons de ne pas y croire, de Einstein à Michaux, de Heidegger à Deleuze, de la physique quantique à Krishnamurti. Reste que c'est encore l'idéologie qui domine, dans les départements de lettres. Et tout ça va de pair avec le système de subventions, qui parle de "recherche" comme d'une démarche scientifique, qui voit comme objets équivalents "la poésie en France de 1980 à 2010" et "l'efficacité du minoxidil contre l'alopécie androgénétique", qui demande des "résultats" et des énoncés de savoir à thésauriser.


Le cégep? J'y ai beaucoup pensé. Quand j'étais au cégep de Rimouski, en Arts et lettres, on avait des cours de création. Il y avait de la liberté. Mais je connais aussi les cours de littérature générale, où on enseigne encore la "dissertation", un exercice ridiculement désuet. Tout ça appuyé sur les "courants littéraires", une construction historique parfaitement contestable, ici présentée comme vérité, qui tend à réduire toute création au social, sans rien dire de sa poussée propre. De quoi dégoûter les jeunes de la lecture pour de bon. Et les cours d'Arts et lettres? Il y a sûrement des endroits où ça crée, comme ça créait à Rimouski en 1998-1999. Mais combien de dissertations à corriger, combien de courants littéraires à enseigner, avant d'avoir la chance de donner ces cours? Et puis, l'an dernier, me préparant à revenir au Québec pour trouver une job comme prof de cégep, je flâne sur le site des Arts et lettres d'un collège reconnu. Je tombe sur un cours qui s'appelle: "création littéraire". Intéressant! je me dis. Je lis la description: "exploration de différentes approches des études littéraires, sociocritique, sociologie de la littérature, génétique littéraire, etc." Et ils appellent ça création littéraire! ({sic}) En faisant de la sociocritique, on n'apprend pas l'écriture, mais à s'en éloigner.


Pourtant, ce serait le rêve, pour moi, que d'être à temps plein, et contre rémunération, dans le lire-écrire et sa transmission. Mais ces boulots n'existent pas au Québec, encore moins en France. Si un jour on les crée, je serai le premier à frapper à la porte. Entre-temps, je dois vivre.


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