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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Des coulées amont

En remontée vers la source intime


C'est un vieux paysage, qui remonte à l'enfance.


On vivait sur des montagnes émoussées, des plateaux. Dans les creux coulaient des rivières. On appelait les ravins : {coulées}. Vieux mot français -- je l'ai retrouvé plus tard dans mes lectures, chez Gracq, en un sens très semblable.


Je n'arrive pas à peindre ces autochromes autrement qu'au présent. J'ai accumulé des photos, ces dernières semaines. J'ai peu écrit ici, parce que les déplacements, les socialités, les occupations m'ont pris et fatigué. Je croyais que j'écrirais plus tard, au retour, à partir des photos. Je découvre maintenant que ça m'est quasiment impossible. L'élan de ce projet tient aux découvertes du moment, à la passée des jours : le sentiment des lumières, des saisons, les signes que font la ville et le territoire quand j'y marche ou m'y déplace.

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Impossible, sauf pour cette image-là, d'une rivière serpentant entre les montagnes, dans la brume. Parce que cela rejoint autrement mon aujourd'hui : ces jours-ci, je retravaille mes {Coulées}, un chantier que je traîne depuis quatre ans, et qui enfin va aboutir. Depuis hier, je relis les dernières versions.


Tout le temps, en écrivant, puis en récrivant plusieurs fois mes coulées, j'ai eu cette image en tête. On la voyait en allant au Soleil d'Or, un belvédère tout au bout du rang de l'Église. Ailleurs, sur les plateaux, on ne voyait pas les rivières ni les gouffres : le sol était si plan qu'on en oubliait presque qu'on se trouvait là sur des hauteurs. À certains endroits précis seulement, comme au Soleil d'Or, on avait vue en surplomb; on prenait la mesure de l'écart.

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C'est un vertige. J'ai toujours eu le vertige. Parce qu'il serait si facile de se jeter en bas : la mort est là tout près, à nos pieds. Je crois que mon vertige vient de ce qu'enfant j'ai compris que je pouvais mourir, que je pouvais même décider de me précipiter dans la mort, depuis le haut d'un de ces belvédères.


C'est beau, en même temps. Les montagnes sont si vastes, le nombre d'arbres incommensurable. À l'automne, les feuillus s'épandent en traînées vives à travers le vert fort des conifères. La rivière se couche et serpente tout au creux du relief, quand il fait soleil elle étincelle. La brume souvent demeure emprisonnée là : on se dirait au-dessus des nuages. Par moments, des canots de pêche ou de plaisance surgissent au détour du méandre, glissent lentement sur l'eau, disparaissent.


C'est l'image de l'écriture, que j'aurais voulue pour {Coulées}. Un mouvement lent mais continu, fluide. Un mélange de vertige et de paix.

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Une fois, mon père nous avait emmené en moto voir la vue. Pas au Soleil d'Or; au bout du plateau du Pin rouge, près de notre ferme. Je ne me souviens pas d'une autre fois, où mon père s'est libéré du travail juste pour le plaisir de nous emmener en balade. On était assis devant, entre ses jambes, à cheval sur le réservoir, ma soeur et moi. On avait roulé dans les petits chemins de bois. Puis, à un moment, on s'était arrêtés. Une mince bande d'arbres nous séparait d'un précipice. On l'avait traversée, à pied. Tout en bas, c'était la rivière Restigouche. C'était beau. Des branches sèches craquaient sous nos pieds.


C'est en moi comme une vieille empreinte, un relief intime. À la limite, {c'est moi}. J'ai vécu en ces lieux à un âge où il n'y avait pas encore de séparation trop dure entre moi et le monde : ces rivières, des montagnes, je les ai regardées vraiment, je les ai {été}. Il y a peu de paysages comme ça. Ce sont des couleurs, des formes qui m'ont fait : des autochromes intérieurs.

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