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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Des plaques d'espèce

Une sauvagerie


2009.

 

L'espèce c'est quoi, l'espèce c'est sur vous, l'espèce c'est vous, vous sur les murs, vous sur les rues, vous sur les hommes, vous sur les femmes, l'espèce je la vois en plaques, en plaques musquées et fortes, cela sent l'espèce, cela dérange l'espèce, et grimpe et contamine, l'espèce est colonisatrice, l'espèce est inarrêtable, ce sont des plaques qui collent et enveloppent.


Comme dans ces films américains épidémie-catastrophe, on croit presque voir la bactérie, on croit presque voir le virus, en contrechamp la bactérie ou le virus, ce qu'on voit c'est le visage effrayé, et la caméra est devenue le virus lui-même, cela avance et avance, le plan grossit sur le visage effrayé, et c'est le film qui enveloppe, c'est la pellicule qui enveloppe, c'est finalement l'écran qui enveloppe, notre regard, notre espèce, on se plaque sur le visage en gros plan, c'est nous, c'est l'espèce qui nous recouvre, on crie.


C'est cela, l'espèce, c'est à peu près cela, qui n'a peur de l'espèce, on n'en contrôle rien, on n'en pense rien, c'est juste de la plaque grimpante, de la plaque agressive et grimpante, une maladie oui mais quel vivant n'est de lui-même malade.


Je dis plaque mais qu'est-ce que j'en vois, même ça se voit moins que ça se sent, je veux dire à l'odeur, c'est musqué je l'ai dit, c'est fort donc et sauvage, c'est totalement sexuel, c'est reproduction et assaillement, cela saute au corps des femmes, s'y plaque s'y épand, l'odeur pénètre dans la peau, dans le cuir, monte par les membres, c'est rouge et fort et sanguin, c'est marquant, et d'odeur et de couleur, c'est de l'espèce sur soi.


Mais pas seulement sur la femme, pas seulement sur l'homme, l'espèce ça se plaque au territoire, on en laisse sur les murs et les arbres, en s'y frottant bien sûr, ou juste d'un mouvement d'épaule en passant, on projète une plaque d'espèce, cela s'accroche à mur ou écorce et reste, reste et vit, respire presque, affûte, attend presque patiemment, et quand au détour quelqu'un vient, comme dans les films américains on voit la plaque et celui qui vient mais celui qui vient ne voit pas la plaque, à l'avant-plan il y a la plaque collée au mur ou à l'arbre, qui attend tapie et menaçante, respirant, et au second plan celui qui vient et marche vers le premier plan, ne se doutant pas, en fait se doutant, mais ne sachant pas que la plaque est à cet endroit précis, mais redoutant quand même la plaque, la plaque ou autre chose, ne sachant, ayant peur, peur exagérée, peur de film américain, le regard balayant comme un tête d'oiseau nerveuse, gauche droite puis encore gauche et encore droite, puis droit devant, marchant encore, tournant peureusement la tête de l'autre côté de l'angle du mur, de l'autre côté de l'arbre, alors d'un coup la plaque d'espèce, au visage et les coups de piano, la musique épeurante, sursautante, l'attaque et le cri, cri de l'homme, de l'espèce plein le visage, il n'en réchappera pas sa propre race.


Parce qu'on y met du sien, dans l'espèce, on y met de sa propre race, on y met de son propre sang, l'espèce ça se remplit, ça se remplit comme l'espace, c'est une plaque de quelque épaisseur, imprécise, ça se mesure à l'odeur, l'épaisseur de la plaque, ce qu'on y a mis de sang et de sperme et de sueur, ce qu'on a extrait de son propre corps, pour en lancer des franges sur le territoire, sur les murs de brique et sur les pavés d'asphalte, aux femmes et aux hommes, aux arbres des parcs et dans les ruelles, on est chat, on est écureuil, on est espèce et territoire, on laisse des bouts de soi partout où l'on peut, en s'écorchant, en s'écharnant, peau de chagrin, on mesure mal les ressources de l'espèce, de toute façon qu'est-ce que ça change, qu'on ne serait plus corps un mais mille franges d'espèce éparpillées, ce serait mieux encore, ce serait cela, n'être qu'espèce, plus d'individu, plus d'un, plus de je, de moi, de ceci de cela, juste un grand effrangement du corps aux surfaces rugueuses du territoire.


Et qu'on lave les murs au jet de sable, et qu'on s'exfolie la peau au gant de crin, ce n'est pas suffisant, ce ne sera jamais suffisant, on ne se vaccine pas contre l'espèce, c'est en vous, c'est vous, c'est notre corps même qui n'est qu'assemblages de plaques, diffractable en multiples jetées, en multiples plaques ventousées, un peu comme les créatures de Michaux, un peu comme des amphibiens, espèce est amphibienne, amphibienne et gluante, rouge et verte et musquée, espèce saute et colle, espèce assaille et enveloppe, espèce contamine et colonise, espèce voyage et transhume, pour elle vous n'êtes que véhicules!

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