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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Fantôme de marée

Image appauvrie des sillons de varech


La marée -- ou plutôt ses traces, son legs, ce qu'elle laisse pour nous en se retirant. On ne l'attendait pas ici, en pleine ville, sur les trottoirs jaunis des rues encombrées de voitures. Ce n'est pas la marée -- si, c'est la marée, puisqu'elle en présente pour moi le signe précis, l'abstraction reconnaissable.


Être ramené tout de suite au St-Laurent, au Bas-du-Fleuve, où seul on a cotoyé durablement la mer. Ce n'était pas la mer -- si, c'était la mer, la saline, les marées, et les phoques et les mouettes.


Marcher sur la grève, entre les sillons que tracent les marées. Quand on a passé la crête des {grandes marées} d'équinoxe, lentement elles décroissent, et laissent donc de jour en jour, de semaine en semaine, des sillons de moindre ampleur. Ainsi se dessine une suite de rangs parallèles. De quoi faits? -- d'algues surtout, d'abord humides, visqueuses, puis sèches et croustillantes -- les écraser, alors, est un plaisir d'enfant. Mais il n'y a pas que des algues : il y a aussi les restes d'animaux morts, les coquilles d'oursins, le bois poli par la mer, et quelques déchets de plastique ou de caoutchouc rejetés par la grande langue amère.


Les feux qu'on faisait ({feux de grève}), les bois qu'on y brûlait ({bois de plage}), le lexique que peu à peu on apprenait, nous qui venions de la montagne où ne coulent que rivières (les {cigares de plage} qu'on fumait pour faire comme les grands : c'étaient des branches d'algues séchées et poreuses). Après les parents il y a eu les amis d'adolescence, et la paix qu'on avait pour notre camaraderie et nos drogues sur les grèves reculées.


Comme souvent, la ville ne recrache qu'une image pauvre, en elle-même insuffisante : d'où qu'il faille ce travail d'écrire et rappeler. Une machine à laver les trottoirs sera passée, aura mal fait son travail, simplement. Ainsi la poussière et les saletés se seront disposées en sillons vagues, comme le charroi des marées. Rappel des {caniveaux} à Paris, quand très tôt [j'allais marcher->http://mahigan.ca/spip.php?article156] (et des hommes aux salopettes fluorescentes avec leurs balais) : des rigoles dans la ville. D'un lieu à l'autre, la chaussée et le trottoir pareillement transformés en {coulées} : on ne se défait pas si facilement, même ici dans le béton, du relief, du ruissellement, de la vieille négociation entre le solide et le liquide, entre la terre et l'eau.


Pauvreté des sensations, fantômes : les dépôts ne craquent pas sous les semelles, ne recèlent pas de surprises, n'ont pas la richesse organique des rejets maritimes. Il n'y a pas cette odeur de varech que quiconque a habité le littoral connaît si bien : cela pue et pourtant on l'aime, cette odeur.


La ville fonctionne par symboles et fantômes : il faudra s'en contenter. Ainsi cette [borne fontaine->http://mahigan.ca/spip.php?article132] : elle n'est pas venue à la photo par hasard. Elle n'est que fer, que solide, et pourtant : on reconnaît, à sa couleur même, apprise, l'idée de l'eau, de l'écoulement. La source ici de nos rivières et de nos marées.

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