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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Flambées d'or

Comment le flamboiement écrit d'un arbre se propage dans le réel


On en voit à [l'automne->http://mahigan.ca/spip.php?article27], de ces arbres jaunissants qui s'éclairent et flamboient comme l'or. La lumière et le vent y affouillent, les [feuilles->http://mahigan.ca/spip.php?article122] moirées virevoltent et brillent. C'est précieux.


J'ai toujours aimé les [couleurs précieuses->http://mahigan.ca/spip.php?article132], mais ma fascination plus précise pour les feuillages dorés est récentes et datables. C'était l'automne, 2007. Je venais de {commencer à écrire} (si on peut dater cela, qui est ancien comme une enfance). J'habitais à Paris, dans le 19e arrondissement, sur la rue de Crimée, tout près des buttes Chaumont.


Le matin, très tôt (5, 6 heures), je me levais et j'allais dans ce que j'appelais, pour rire, {mon cabinet} : c'était une minuscule pièce humide dont je disposais sur le palier, avec fenêtre sur la cour - j'y avais mis mon bureau. J'écrivais pendant deux, trois heures. Puis je sortais prendre une marche, le long du bassin de la Villette ou dans les buttes Chaumont.


J'étais si plein des paysages de [{Relief}->http://mahigan.ca/spip.php?article104], qu'ils m'accompagnaient dans mes promenades. Et vice versa : ce que je voyais dans la ville, en marchant, colorait en retour mon récit. Ainsi, cet émoi que j'ai ressenti un jour simplement en regardant l'eau de la Villette : elle était d'un vert huileux, aux reflets arc-en-ciel. C'était la pollution qui faisait ça, bien sûr, mais je ne m'en souciais pas : me fascinait la plastie, la picturalité de l'eau, que j'allais transposer dans ma description de la rivière Patapédia (si loin, si étrangère pourtant à Paris...).


À l'inverse, mes descriptions d'arbres allaient imprégner mes promenades aux buttes Chaumont. {Relief} est un récit très sylvestre. Même, j'avais apporté avec moi à Paris un livre acheté à Montréal (que j'ai encore) sur les arbres et plantes forestières du Québec... Là-dedans, j'avais appris qu'il existe un conifère (le seul peut-être) qui perd ses feuilles à l'automne : le mélèze laricin. Je me souviens des grands mèlèzes de la Gaspésie : on y montait enfants parce que c'étaient les plus grands arbres, depuis leur cime on voyait très loin à l'horizon. Je ne me rappelais pas qu'ils perdaient leurs épines à l'automne; j'ai seulement un très vague souvenir de faisceaux jaunissants...


J'ai mis un mélèze laricin dans {Relief}. Mon guide des arbres disait que le feuillage virait au jaune or à l'automne. C'était pour moi un arbre roi : j'allais lui réserver une crête et en faire une description altière, grandiose. "Grand arbre des solitudes de paroi rocheuse" (Paul-Marie Lapointe). Grand arbre d'or, fouetté de vent, sourdant à travers son lit d'épines craquantes...


Je me souviens avoir marché dans les buttes Chaumont ce matin même où j'avais écrit le mélèze. Il y a plusieurs espèces d'arbre, très diverses, certaines exotiques, aux buttes Chaumont. De gros résineux tortueux comme de fins feuillus discrets. Les couleurs d'automne ne sont pas en France aussi frappantes qu'au Québec. Mais aux buttes Chaumont, certains arbres flamboyaient, comme ces oiseaux exotiques rose ou bleu vifs qu'on voit dans les zoo.


Parmi eux, il y avait un arbre au feuillage d'or. Ce n'était pas un mélèze laricin. Il était bien plus petit et frêle. N'empêche : son feuillage était un bougé, une flambée d'or. Et je me souviens avoir ressenti une émotion très grande à le regarder. Comme si, grâce à l'écriture, je percevais maintenant des beautés du réel, vivais des émois, qui ne m'étaient pas donnés auparavant.


Proust dit quelque part qu'à force d'écrire, de construire, l'écrivain, en prenant de l'âge, en vient à trouver de lui-même partout dans le dehors. De lui-même : pas du je-me-moi, pas de l'ego. Mais du senti, du compris, du construit : l'univers mental devenant alors à la mesure d'un monde. Comme un faisceau de couleurs, se diffusant au-dehors et teintant petit à petit toutes les facettes des choses rencontrées.


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