Flèche au front
Une sauvagerie
2009.
Pas flèche qui entre, flèche qui sort, entre les yeux se forme, sous les sourcils se fronde, pointe hors de, le cuir se plisse et au plus troué du front en sort, la flèche, flèche prête à être décochée.
Ce n'est même pas agressivité, pas vraiment, ou agressivité comme les animaux, mais homme pourtant, flèche de l'homme s'il veut vivre, là juste là, au dessus des yeux, à la jonction des sourcils, là où le cuir se plisse, et à la longue marque, chez les vieux on voit qui a cultivé sa flèche.
Quand on tue un boeuf on fait une croix, entre les yeux et les cornes, puis on vise au milieu, non pas au milieu tout à fait, juste un peu plus haut, quelques doigts au-dessus, puis encore un demi-doigt au-dessus, pour la descente de la balle, soumise à la gravité comme le reste, qui donc entre le bout du canon et le crâne du boeuf décrit une trajectoire descendante, mais si on est proche c'est peu, c'est si peu qu'on pourrait dire un quart de doigt seulement, mais quand même.
Flèche qui sort à l'endroit précis ou presque où entre ce qui tue, flèche ou balle, point à la fois de force et de faiblesse immense, c'est de l'os pourtant, de l'os et du cuir plissé, c'est épais et crânien, mais c'est vital aussi et exposé, c'est le centre de la cible humaine, de la cible animale, c'est difficile à atteindre mais ça ne pardonne pas.
C'est fort donc et faible à la fois, c'est un point et une barre, une barre qui y entre ou en sort, et si on n'y pousse cela entre, si on y pousse cela sort, c'est un drôle d'état que l'état d'homme, l'absence de concentration ne suffit pas, la négligence ne suffit pas, même pas à s'abêtir, à s'animaliser, sans cesse il faut concentrer, il faut plisser, il faut pousser la barre au point sensible du crâne, sinon elle entre et traverse, et vous empale, c'est une lutte constante, qui ne tolère nul relâchement, on déplisse le front et la flèche se retourne et s'enfonce.
Un moment de relâchement et tu deviens chèvre, tu deviens boeuf, en tout cas herbivore, mammifère et herbivore, et quelque ou nulle chose se lit sur ton visage, l'expression est unique et blanche, figée, on ne parlerait pas d'émotion, mais au contraire immobilité, de ce côté du mur il n'y a qu'un seul visage, tiré aux tempes, mort déjà, un X déjà entre les cornes et les yeux, parle-t-on d'une visage d'animaux, non pas un visage, une cible seulement, tu appelles les balles et les flèches.
Mais repousses et concentres et tu deviens homme, quelque sauvage sois-tu, et tu retournes la flèche comme avec leur volonté dans ces films de science-fiction, ils ont l'air de forcer de la tête, et c'est bien cela, c'est exactement cela, ce n'est rien de plus que cela, il te faut toujours retourner la flèche et la lancer hors toi, cela est ta motion d'homme, n'en cherche autre, et n'ait crainte de lancer trop fortement hors, cela d'histoire d'homme ne s'est vu, il est rare qu'un homme ne soit du tout boeuf.
La flèche se retourne, ou la barre de ton crâne sort, pardonnez la violence, ce n'est pas voulu, je n'aime pas ces films américains où un homme s'arrache une barre de fer du corps à froid, je n'aime pas non plus ces films américains où un homme détourne un projectile létal de sa personne par la seule force de sa volonté, reste que c'est cela, c'est exactement cela, alors tant pis, faisons film, faisons cinéma, ces images on les a toutes prêtes dans la tête, il n'y a plus qu'à les y en sortir, comme cette barre ou cette flèche qu'on sort de sa tête, à la jonction des sourcils, au plissement tanné du front, et au besoin un grand cri, genre Rambo se désinfectant une plaie ouverte à la poudre et au briquet, mais peut-être plus sauvage, je veux dire plus réellement sauvage, un cri de chasse et d'épinette, un cri d'espèce forte et musquée, rouge, la voix humaine.
Non, pas même un cri, ou sinon le seul crissement de la flèche qui sort hors de, parce qu'en bas le reste du visage est libre et calme, et le corps est libre et calme, tout est possible à part peut-être un recul et un figement, cela est en motion, même apparemment immobile en motion, vers l'avant bien sûr, on sent la possibilité de mouvement, comme juste avant de s'élancer, comme juste avant de courir, court déjà, tout le corps, et le visage, en avant.
Et la bouche en bas peut sourire, d'un sourire forcément narquois, où logeraient plusieurs flèches, la bouche peut sourire et ce n'est pas méchanceté, ce n'est surtout pas haine, peut-être même pas agressivité, mais seulement assurance de la flèche, assurance qu'homme n'est rien sans sa flèche, que cela vaut mieux qu'être boeuf, qu'homme est carnivore et acéré, qu'homme a besoin de ce mouvement hors lui, et de le renouveler constamment, de le maintenir au front, au plissement du cuir, au froncement des sourcils, au plissement subtil des paupières, et les yeux et le nez des ailes, les ailes de la flèche.
Face à face c'est l'épreuve, et le sexe ne compte pas, c'est d'être humain seulement, d'être homme seulement, c'est l'épreuve de qui va devenir boeuf, de qui va devenir homme, et cela s'est vu que des flèches se brisassent, comme dans les films américains une flèche en interceptant une autre et la brisant, ou sinon plus simplement un relâchement, d'un côté ou de l'autre un relâchement, d'un coup on se voit boeuf, d'un coup on se voit homme, qui ci qui ça peu importe, cela se déséquilibre et appelle, la flèche décoche et traverse, c'est une petite mort.
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