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  • Photo du rédacteurMahigan Lepage

Fuites mineures, récit | douze tounes déraisonnables

Le livre est disponible en librairie et en numérique depuis 22 septembre


On propose souvent aux auteurs de lire à voix haute les textes qu’ils ont écrits. Plus rare qu'on aille dans le sens inverse : partir de la voix, de la vocalisation, et de là aller vers l'écriture. C'est le chemin de {Fuites mineures}. Le déclencheur : des lectures publiques, en 2011-2012, avec la bande des éditions [Mémoire d’encrier->http://memoiredencrier.com/], en particulier le spectacle {Les bruits du monde} orchestré par Rodney Saint-Éloi et [Laure Morali->http://www.lauremorali.net/]. En lisant sur scène, accompagné parfois d'un musicien, je me suis éclaté, j'ai vécu des expériences corporelles fortes. En même temps, j’avais souvent envie de changer un mot, d’oraliser une tournure. Je griffonnais la partition (le texte), juste pour la scène. Quelque chose était en train de bouger, dans mon écriture, par l’oral, par l’expérience de la lecture à haute voix.


Printemps 2012, Rodney me demande d’écrire un texte expressément pour {Les bruits du monde} : on refera le spectacle à Sept-Îles et on enregistra [un album->http://mahigan.ca/spip.php?article287] de lectures et chants dans le studio de Florent Vollant à Maliotenam. Alors que j’étais en voyage dans la vallée de la Matapédia et la baie des Chaleurs, installé dans un café à Carleton, je balance une toune, une histoire de tour de la Gaspésie sur le pouce à 17-18 ans avec une anecdote autour d'un t-shirt Zig-Zag… J’ai tripé à l’écrire, ce texte, à grande vitesse et en spirale, comme j’aime. Tripé, aussi, à le performer avec Réjean Bouchard à la guitare, sur scène et dans le studio de Vollant. Plus tard, j’en ai écrit d’autres dans le même ton : des fuites dans les villes, Ottawa, Montréal, Québec, à 15, 16, 17 ans. Avec toujours en tête, au moment de l'écriture, la perspective de la lecture publique (en mai 2012 à Québec, une perf avec Guillaume Martel-LaSalle à la guitare : gros fun). C’est alors que je me suis rendu compte que mes "tounes" souvent se croisaient, reprenaient les mêmes motifs, et commençaient déjà à tisser, presqu'à mon insu, une seule et même histoire. J'ai continué, j'ai écrit d'autres tounes, en concevant l'ensemble comme une sorte d’album musical.


Chaque chapitre de {Fuites mineures} peut se lire séparément, tout comme on peut écouter séparément chaque toune d’un album. Et en même temps, comme dans certains albums, il y a une histoire qui traverse toutes les pièces. Au lieu de construire le récit sagement, j’ai voulu que ça déraisonne. Que ça parte en vrilles, littéralement. Que la main aille plus vite que la pensée. Ne pas avoir le temps de construire, de faire l'intelligent, ça permet de laisser la construction émerger du corps. C’est donc une voix qui répète, tout le temps, parce qu’elle ne s’organise pas, elle ne mesure pas, ne soupèse pas, ne se réserve pas. Elle se lâche, elle crie. Elle n'existe que dans le présent de son explosion. Du coup, elle oublie ce qu’elle a dit avant et elle brûle d’avance ce qui devrait normalement venir après. Le récit avance comme ça, en volutes.


La force qui pousse sous l'écriture, c'est ce que j'appelle: {le mineur}. C’est-à-dire les années d’avant l’âge adulte, oui, mais aussi : le détail, le petit, l’apparemment sans importance, qui en fait a peut-être plus d’importance qu’on le croit. Les frenchs, les trips sur le pouce, les buvards, les escapades dans les villes, les premières fois, les vols à l'étalage, les shows et les partys, les symboles sur les t-shirts… Comment on voit la ville, les routes et les autoroutes, les magasins, les gens, comment on voit votre monde, quand on n’a pas encore posé dans nos têtes les freins de l'âge adulte?


Longtemps que je cherche à faire passer le mineur dans la phrase. {Vers l'Ouest} raconte le même âge, avec la même voix (juste un peu moins oralisée), lancée sur les routes de l'Ontario et de l'Ouest canadien. {Fuites mineures} reprend par ailleurs certaines histoires déjà effleurées dans {Coulées}. Mais {Coulées} ne criait pas assez à mon goût. Contrairement à {Vers l'Ouest} (qui en faisait initialement partie), {Coulées} n'est pas tombé juste au premier jet. J'ai dû le réécrire pas moins de cinq fois. Résultat : un texte écrit, phrasé, lent et pensé. La matière y était, mais pas la voix. (D'un autre côté, j'ai toujours considéré {Coulées} comme un arrière-fond, un paysage brossé, qui reste à approfondir. Comme quand on regarde par la fenêtre d'un train ou d'une auto : l'arrière-plan défile toujours plus lentement.)


Je restais insatisfait. Il fallait que je trouve le moyen de rendre dans la langue l'énergie et la vitesse du mineur. L’explosion qu’on avait dans la tête, à 13, 15, 17 ans. J'en avais besoin. Avec {Fuites mineures}, j’ai l’impression que ça y est. L’impression que ça rend justice à notre folie, notre camaraderie, notre révolte, notre cri, notre course, notre vitesse, notre fuite… Je ne sais pas si les jeunes d’aujourd’hui vont s’y reconnaître. J’espère que oui. Même si les expressions, les dopes et les symboles ont changé, l’énergie de la fuite est sûrement la même. J’espère aussi que ça allumera des feux dans quelques têtes d’adulte où il reste des brasiers fumants. Le mineur, ce n’est pas seulement l’adolescence, pour moi : c’est une autre configuration des neurones, une renverse, un lâché des freins. Ça ouvre à un autre temps, plus puissamment présent. C’est un incendie dans la tête. Pour moi, l'écriture l'a rallumé. Peut-être que pour d’autres, la lecture aura le même effet.


Mais j’ai déjà trop parlé : je suis encore en train de ballonner du [lobe préfontal->http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/teenbrain/work/adolescent.html], comme tous les adultes… Peut-être que la meilleure présentation, pour ce genre de texte, aurait été de juste faire jouer une des tounes :


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{Fuites mineures}, récit

éditions Mémoire d'encrier

200 pages

ISBN : 978-2-89712-254-6


Présentation de l'éditeur:

<small>Des jeunes se lancent sur la route, fuyant le monde dessiné pour eux. Ils se perdent dans les bois, inondent les rues et les partys. Ils courent leur révolte, crient leur camaraderie. {Fuites mineures} est un chant sauvage qui éclate frontières et horizons. Une aventure rythmique où priment le corps, l’oral et l’instinct. Avec ce récit fougueux, une voix s’affirme. Un Mahigan à son meilleur.</small>

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