Imminence brume
Le brouillard est notre horizon, inatteignable
<quote><small>Autour d'eux, tout était brume. Telle était même l'opacité des nuages, qu'ils n'auraient pu dire s'il faisait jour ou nuit.
Jules Verne, {L'Île mystérieuse} </small></quote>
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Ce qui nous fascine dans la brume : qu'elle rend visible notre incapacité même de voir, de savoir.
Combien de fois l'a-t-on dit, qu'on est comme des marins dans le brouillard? Comme les aveugles de Maeterlinck.
Le brouillard est notre horizon, inatteignable. Ce qui fait que cela même, on peut à peine le voir. À chaque pas qu'on fait pour s'en approcher, d'autant il s'éloigne, il recule. Métaphore de notre science aujourd'hui? -- apprendre à aimer cette valse même, peut-être.
Le photographier est donc difficile. Plus loin, toujours plus loin, on devine des murs enveloppés de brume, on voudrait les saisir. Mais arrivé au mur, il n'y a plus rien. Maintenant, c'est sur l'échangeur tout là-bas qu'on entraperçoit le masque. On s'approche : il se lève.
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La brume nous joue. Même les couleurs, elle les efface. La ville brumeuse est en noir et blanc -- comme les vieux films. Tout art, toute image vraiment artistique est nocturne ou brumeuse. La brume est [le jour fait nuit ->http://mahigan.ca/spip.php?article154], ou l'entre-deux de l'aube.
Paradoxe qu'on devine, aux matins brumeux, l'annonce d'un jour chaud et beau. Au-dessus du poids de gouttelettes, visible pour ceux qui en avion voyagent, est un ciel parfaitement clair, inaccessible -- mais qui viendra bientôt, dans un autre temps.
La ville de brume est déserte, parce qu'elle est aube. Les fissures dans le béton se teintent d'humidité noire et ainsi se marquent.
Dans l'enfance de forêt, il y avait aussi la rosée. On évitait moins facilement les éléments, là-bas. Sortir un matin brumeux voulait dire se tremper les pieds -- et même avec des bottes de caoutchouc, on se mouillait les pantalons jusqu'aux genoux, aux cuisses, dans les herbes hautes. Il faisait plus frais aussi, et les oiseaux chantaient.
En ville, c'est toujours le même incongru. Il y a là vision de la brume, mais la brume elle-même reste presque insensible. Il manque d'arbres pour recueillir les gouttelettes, d'herbes pour recueillir la rosée.
Le brouillard supprime l'étendue de la ville, restreint son appréhension au local le plus immédiat. Mais cette localité est insuffisante en soi : on ne pourrait pas y vivre sans le reste. C'est pourquoi la brume dans la ville annonce le désastre -- son imminence.
Il n'y aura plus rien, peut-être un jour, que ces fragments de béton, archipel d'ici insuffisants où il faudra pourtant survivre. On regrettera alors de ne pas avoir fait de la brume l'échelle de nos villes.
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