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Photo du rédacteurMahigan Lepage

L'Asie du Sud-Est sur rails, 1 : départ Singapour

Singapour-Chiang Mai : 2500 kilomètres, 10 jours, 3 pays; une aventure ferroviaire


<quote><small>Avec cet article, j'inaugure aujourd'hui une nouvelle rubrique sur mahigan.ca : {La machine ronde.} C'est le nom d'un blog voyage que j'ai d'abord voulu séparé, installé [à sa propre adresse->http://machineronde.net/]. Mais l'expérience en Asie m'a appris que je ne pouvais ni ne voulais séparer le voyage de la littérature, que je ne deviendrais pas un "travel blogger" au sens usuel. Je rapatrie donc le blog ici : description du dehors, oui, mais tout auprès des voix du dedans -- des fictions et des récits, des lectures, des explorations de toutes sortes. Tout auprès aussi, intriqué même, aux [Carnets nomades->http://mahigan.ca/spip.php?rubrique55] que je tenais déjà en parallèle ici. Ce billet, ainsi que les autres à venir dans la même série (laquelle en comptera probablement quatre), sont neufs et n'auront présence qu'ici. D'ici quelques jours, je déménagerai aussi les billets antérieurs.</small></quote>


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<small>À lire aussi :


-* [L’Asie du Sud-Est sur rails, 2 : survol Kuala Lumpur->http://mahigan.ca/spip.php?article302]

-* [L’Asie du Sud-Est sur rails, 3 : traversée Penang ->http://mahigan.ca/spip.php?article303]

-* [L'Asie du Sud-Est sur rails, 4 & fin : Thaïlande en wagon->http://mahigan.ca/spip.php?article304]

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Sept mois que je suis arrivé en Asie. Je me suis installé progressivement à Chiang Mai, dans le Nord de la Thaïlande, et depuis là je voyage, je parcours les pays voisins.


Je devais de toute façon sortir de Thaïlande pour renouveler mon visa. J'aurais pu aller simplement à Vientiane, comme tout le monde, ou seulement à Kuala Lumpur à la limite. Mais voilà, j'avais envie d'une autre virée, et de voir un peu plus de l'Asie du Sud-Est. Les villes, surtout, me fascinent : c'est là, à mon sens, que l'on peut encore se perdre, aujourd'hui. Dit complètement contraire à l'idéologie voyageuse ou backpacker, selon laquelle il faut chercher la différence dans l'isolement, là où les traditions perdurent. C'est le présent qui m'intéresse, et il ne sévit pas moins ici qu'ailleurs.


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J'ai volé de Bangkok à Singapour. Dès que l'on débarque à l'aéroport de Singapour, c'est une autre Asie qui nous accueille. {L'Asie du Sud-Est propre sur soi}, que je me disais. Bien sûr, tous les aéroports se ressemblent, mais il y en a qui se ressemblent plus que d'autres... L'aéroport de Singapour pousse la normalisation jusqu'à son point d'achèvement. On le décrit comme le meilleur aéroport du monde. Rien à redire : connexion wifi très haute vitesse sans mot de passe, propreté impeccable, architecture plus recherchée d'une aérogare à l'autre. Dans les toilettes, au kiosque d'information, partout, des écrans tactiles permettent d'évaluer instantanément la satisfaction client. L'aéroport de Singapour, microcosme de cette ville-pays (elle-même microcosme du monde) : jamais vu ailleurs une cité aussi policée, réglementée, surveillée.


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Partout, dans la ville, on a développé, investi. On a engagé de grands architectes, cela se voit à plusieurs constructions. Pourtant, c'est tout sauf une ville {artistique} : un musée plutôt, à ciel ouvert.


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N'empêche qu'il y a des lignes de faille. Mon hôtel se trouvait dans Little India. Après avoir déposé mes affaires, le premier jour, je suis sorti pour chercher à manger. Il devait être cinq, six heures du soir -- l'heure de la débauche. Les rues, presque vides une minute plus tôt, se sont soudain remplies de centaines et de centaines de gens, hommes surtout : les Indiens de Singapour sortant du travail. Il y avait tant de gens que j'ai d'abord cru à un événement exceptionnel, une fête ou un concert dans le quartier. Non, c'était la fin d'un jour de travail ordinaire. Les Indiens habitaient la rue, traînaient dans le parc, sur les trottoirs, prenaient l'air.


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C'est une ville choquante, Singapour. Pas si différente des nôtres : juste, qui a glissé, sur la même pente, jusqu'à l'extrême. Les obsessions qui structurent notre monde, nos vies -- la réussite, la sécurité, l'exploitation du travail de l'autre, etc. --, ici c'est parfaitement rodé. Le pays importe de la main-d'oeuvre bon marché des pays plus pauvres d'Asie pour alimenter sa croissance boulimique, et on n'a pas de mal à croire les gens qui parlent de racisme et de mépris courants envers les Birmans ou les Indiens à Singapour.


Je ne dirais que pas que c'est l'avenir de nos villes -- on ne connaît pas l'avenir. Je dirais que c'est leur achèvement. Leur {terminaison}, presque. Dans le cosmopolitisme, aussi. Étrange ville-pays sans véritable bassin homogène de culture ou de langue majoritaires. L'anglais comme langue de communication officielle, et encore un anglais hybride, créolisé, particulier. Du chinois, du malais, de l'indi, et bien d'autres langues encore. L'impression, à me déplacer dans cette ville, dans les métros et les bus, que personne n'a ici de racine profonde. Une ville sans tradition (on essaie bien sûr de construire une histoire nationale, avec d'autant plus d'ardeur sans doute qu'elle fait défaut, qu'elle est d'emblée {internationale}), sans racines, une ville-transit, tout entière présent. Les gens qui à toute heure font la queue devant les Western Union...


Je n'en ai pas fini avec Singapour... Pour moi, ça a été un choc, cette ville -- microcosme du monde, révélateur du présent.


Je n'y ai rien fait pourtant qu'y dormir une nuit et y marcher (trop) un soir et un jour. Elle porte à marcher, cette ville, ses boulevards s'éternisent, et on ne trouve où s'asseoir que sur les petits tabourets des {food courts} (il faut bien qu'elle se nourrisse à bon marché, cette main d'oeuvre, sinon comment) et dans les fauteuils des Starbucks... Sur les grands boulevards, le soir, des galeries marchandes, de grands murs de publicités lumineuses. On pourrait être n'importe où, New York, Paris. Mais dans les arbres, crient si fort les oiseaux exotiques. J'aime ces signes qui ramènent à la surface ce que toute grande ville tend à oblitérer, en se posant comme une sorte d'"intérieur" -- le climat ou le relief, le dehors :


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Séjour bref, donc, parce que l'hôtel est cher à Singapour -- rien à voir avec le reste de l'Asie du Sud-Est! --, et parce que l'idée, c'était l'aventure ferroviaire avant tout. Des villes, on retire des aperçus rapides. Mais comme dit Michaux dans {Un barbare en Asie}, c'est parfois en ne connaissant rien d'un pays qu'on en rejoint intuitivement le centre (commencer par le milieu). Tout est une question de perspective : on peut visiter des villes, et alors le train ou le bus ne sont que des moyens de transport permettant d'aller de l'une à l'autre. Ou on peut faire un trajet ferroviaire, et les villes alors en sont les étapes.


J'avais tout préparé d'avance pour remonter à Chiang Mai en train. Pour dormir en couchette, pas le choix, il faut réserver. J'ai fait des recherches -- [cette page du site Seat 61->http://www.seat61.com/Malaysia.htm] est sans contredit la plus utile. J'ai dû tricher un peu : je n'ai pas pris le train à Singapour même... En achetant un billet de train au départ de Singapour, le trajet vers Kuala Lumpur m'aurait coûté presque trois fois le prix (c'est expliqué sur Seat 61). J'ai donc pris un bus vers la première gare du côté malais, juste en dehors de la frontière.


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Traverser une frontière en bus de ville, c'était bien la première fois! Expérience étrange, dont je devrai reparler : c'était le soir, j'étais perdu dans les banlieues de Singapour, complètement désorienté, dans un bus vieilli (fini déjà le propre singapourien), rempli de travailleurs malais ou immigrants rentrant chez eux de l'autre côté de la frontière. Le bus qui s'arrête sur l'autoroute, on descend, on marche sur un échangeur jusqu'au poste frontière, au milieu de nulle part. Douanier, regard, tampon, puis on redescend sur l'autoroute, on rattrape un autre bus avec le même numéro (important), qui nous transporte à la gare de train de Johor Bahru. On a passé en Malaisie. On perçoit les signes du changement : nouvelle monnaie, ville et gare moins propres, moins policées : on retrouve déjà l'Asie du Sud-Est que l'on connaît.


À 23:00 je montais dans le train et rejoignais ma place assignée. Une couchette du bas (plus d'espace en bas, pour les grands comme moi!), bien confortable, comparable en tous points à celles des trains thaïlandais. Savoir s'organiser pour ces parcours en train, c'est apporter :


-* des bouchons d'oreille (boules Quies) : si on dort à l'extrémité du wagon, prêt des portes, c'est bruyant, et puis il y a aussi les bavards, c'est fréquent, ou les bébés...;

-* un bandeau pour les yeux : ils laissent les néons allumés dans les wagons, et les rideaux ne bloquent pas toute lumière;

-* un pull, des vêtements chauds : comme partout en Asie, ils mettent la clim à fond, et si en Thaïlande ils fournissent la couverture, en Malaisie c'est un simple drap tout mince;

-* de l'eau et un peu de bouffe : parfois on ne vend rien à manger dans le train, parfois c'est cher, parfois le train est en retard, de toute façon vaut mieux prévoir.


La nuit bien sûr on ne voit pas le paysage, on le rêve. Le train est parti et je me suis endormi. J'allais me réveiller à Kuala Lumpur.


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<quote><small>Suite de l'aventure : [L’Asie du Sud-Est sur rails, 2 : survol Kuala Lumpur->http://mahigan.ca/spip.php?article302]</small></quote>

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