La découpe des façades
Ces devantures comme des visages défaits
<quote><small>Ô ton visage comme un nénuphar flottant
Gaston Miron</small></quote>
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Les {façades}. Elles ont été inventées avec la ville, sans doute. Dans la profondeur tridimensionnelle des campagnes, tous les côtés des maisons pouvaient se dévoiler aux promeneurs, aux cheminants. Mais en accotant les constructions les unes sur les autres, on allait masquer les murs latéraux, parfois même le mur arrière. L'avant revêt alors d'autant plus d'importance : il devient le {visage} du lieu.
Le mot "façade" dit cela : il s'apparente à "face", un mot aussi employé pour figure, visage. Mais il en peut avoir aussi la superficialité. On dit qu'on "se compose" un visage, quand on va mal mais qu'il faut garder contenance. L'idée même de façade introduit la séparation entre devant et derrière, surface et profondeur. Elle peut {masquer}, et elle masque souvent : des misères matérielles ou morales, des laideurs, du vide.
L'Ouest américain a rendu visible et comme {détachée} la façade. Les villes en ruée se bâtissaient à la va-vite, alors les murs des maisons, des saloons, étaient comme {plaqués}. Ça semblait plus vrai encore des façades : on les a vues dans les films westerns ces devantures qu'on dirait mal jointoyées, tenant par deux clous, toutes prêtes à basculer pour dévoiler le théâtre des familles et des salons. Car les rues sont un public en attente de drames : qu'une façade tombe, comme un visage décontenancé, et les pairs d'yeux sont là, perçants et cruels, avides d'observer ce qui se joue.
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Sur cette rue de la ville que j'habite, des auvents translucides, mal vieillis, scient horizontalement les façades en deux. La partie du haut paraît alors d'autant plus découpée, entre les bleutés transparents du ciel et du verre. Ces façades me rappellent l'Ouest, aussi : un Ouest de pacotille, bien sûr, mais quand même. On le reconnaît à ces formes supérieures, sans profondeur, inutiles et connues, qui s'efforcent dirait-on de rappeler le toit pointu, le V inversé de la maison, mais n'y arrivent pas. Elles rappellent seulement le vide : qu'il n'y a rien derrière, que ce n'est que façade au sens le plus pur.
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Et puis cette façade-là, plus massive, plus pompeuse : encore, une superficialité, d'avoir voulu représenter des fausses fenêtres, une corniche, par des formes abstraites, géométriques (rectangles, triangle). Mais c'est une devanture de théâtre : le jeu ici est loi. Comme un rappel de ce qu'est toute façade : une surface dessinée, rajoutée, jouée. Un mur à tomber.
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