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Photo du rédacteurMahigan Lepage

La passée des cargos

Douleur de ce monde où l'oeil s'est absenté


Les bateaux. Les glaces. Le fleuve. Les herbes sèches d'hiver aux abords. Les soucoupes de glace comme des nénuphars. Les parois de roche raides, qu'on dirait découpées à la scie. Les fumées au loin des usines. Et le ciel, moutonneux, lambrissé.


C'était blanc, à l'oeil nu. Mais la photo a tout coloré en vert et bleu. Tons saumâtres, du fleuve surtout - on ne s'y attendait pas. Mais oui, c'est bien cela : quand passent les cargos, l'eau vire au vert, et le ciel pèse plus lourd.


On les voit surgir du méandre, ces monstres: gigantesques bâtis fendant les glaces, frayant dans les eaux apeurées. Les roseaux tremblent quand ils passent, les glaces de brisent. Et les berges s'inondent et se tachent.


Leur passée est oblique, indéchiffrable. D'abord, quand ils se profilent, on les croirait montés à moitié sur la terre, sur les berges; ils sont immenses, et surgissent en montrant leur flanc. Puis ils s'éloignent lentement au large; et plus ils rapetissent, plus leur angle redevient congru.


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Interroger le réel par l'image et son abstraction. Qui a cru qu'ici je faisais {description}? Mais de seulement retracer les lignes, les contours, et de brosser le plain des étendues de couleur, et on a suffisamment de données pour y mettre en jeu la langue, et renvoyer sur le monde quelque équation déplacée.


Font problème ici les falaises, l'angle des cargos, et la couleur trop amère des deux plans d'horizon. On n'a pas voulu cette image, voilà. On a voulu les cargos, et les usines derrière. Mais rien n'a été fait pour le paysage. Alors on se les prend comme des massues, les cargos surgissant du méandre. Et l'eau est verte d'une pollution qu'on sait. Le ciel au-dessus ironise ses lambris. Et les herbes, et les soucoupes : dérision des paysages disparus.


Ce qu'on est forcé de construire est violent, et incongru. Des bâtiments inertes, non fluides, qui translatent en angle sec sur le fleuve. Monstres de ce temps, de ce monde où l'oeil s'est absenté.


Ça fait mal, ça cogne en-dedans, d'avoir à faire paysage de cela si séparé, si choqué. Un écart au bord du cadre. Une inertie à l'oblique. Une ironie des berges et du ciel. Une eau verte, malade. Et les fumées un signe au-dessus des parois âpres. Douleur oui de ce temps, de ce monde où l'oeil s'est absenté.


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