Le respir souterrain de la ville
De quels fonds venu ce souffle qui s'échappe aux trappes grillagées?
C'est récent, que le vent sur terre souffle de bas en haut. Avant, il y avait bien les volcans et l'enfer (plus ou moins différenciés), où l'air brûlant pouvait circuler verticalement dans les cavités souterraines (voir Dantes). Maintenant, il n'y a plus d'enfer, mais les dessous de la ville, systèmes d'égoût et d'aération.
La ville comme une machine, comme la bête de Zola : à certains endroits, elle souffle ou fume. Parfois on en sent l'haleine, on en oit le ronflement.
Les souterrains de la ville : on les connaît si mal. Hugo y est allé. Perec les a inventoriés. Tout un dédale là pourtant, qui pourrait être notre ville. Le [Montréal souterrain->http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?rubrique49] repose sur cette idée, d'une habitation des dessous. Pourquoi? Comme une envie de mécanicien ou de machiniste : de vivre dans les coulisses, auprès des machines, là où les rouages cognent et s'engrènent.
C'est un monde de tuyaux, de conduits, de trappes et de grilles. On y voit parfois descendre des hommes en habits de caoutchouc. Le couvercle d'égoût repose sur le sol, à côté du trou béant : c'est donc possible, d'aller sous la ville?
Certains s'y aventurent illicitement, à ce qu'il paraît. Ce sont les explorateurs d'aujourd'hui. Ils hantent les égoûts, les tunnels, les usines désaffectées... On a tous de ces envies, qui remontent à l'enfance, de pénétrer dans des lieux abandonnés et interdits, de s'y raconter des histoires de peur (pour moi, pour nous, c'était La Batoche au Bic, avant qu'elle deviennent l'Auberge du Mange-Grenouille).
Seul signe, à la surface, que la machine souterraine de la ville tourne encore : ce souffle, ce vent. Ici les mots ont supériorité sur les images : comment photographier le vent? Mais à l'automne les grilles accrochent les feuilles mortes, et le souffle les dresse verticales. Ainsi ce qu'on voit ce n'est pas le vent, mais son symptôme - comme ces poudres par lesquelles les magiciens font voir les fantômes.
Pendant la saison froide, les trappes grillagées sont des lits pour les gens sans toit. L'haleine de la bête en-dessous les réchauffe. Au pied des buildings, au-dessus des grilles, ils sont maintenus vivants par cela même qui effraie : le respir souterrain de la ville.
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