Les géantes miniatures
Vue du ciel, 1
Vues du ciel, ce sont des géantes miniatures.
Comme ces maquettes où on rêverait de marcher, celles qu'on voit parfois dans les musées. Tout semble parfait et facile, dans une maquette. Les villes réelles sont différentes, mais elles commencent aussi dans le rêve.
Quelle ville, peu importe : de haut, elles sont mêmes toutes. Ici c'est Kuala Lumpur, escale de mon vol Bangkok-Manille. Aujourd'hui je prends la route. La route des monstres d'Asie, la route des montres levants. On m'a donné de l'argent pour ça (une bourse d'écriture), comme au temps des explorateurs les rois ou les gouvernements donnaient. Non, j'exagère, ce n'est pas comme au temps des explorateurs, personne n'attend que l'on découvre Manille. Il n'y a plus de {terra incognita}, et pourtant. Ils deviennent de plus en plus ridicules, les touristes cherchant les endroits {non touristiques}, les endroits {intouchés}. Et si l'inconnu on l'avait devant les yeux, s'il se cachait dans les villes, et même dans le banal et le touristique, et même dans le commercial.
Partir avec cette question seulement. Et une notion tenue par-devers soi : la masse. Ce serait une petite étude de la masse, à l'échelle des mégapoles asiatiques. Pas toutes, pas de recherche d'exhaustivité. Celles, surtout, qui sont d'abord cela précisément, {des masses}. Pas les mégapoles richement structurées, comme New York, Londres, Paris ou bien Tokyo, Osaka, Séoul, mais ces villes qui sont avant tout des monstres démographiques : Manille, Jakarta, Beijing, Shanghai, Delhi, Mumbai, Dacca... J'ai prévu trois voyages d'un mois chacun, cette année en Asie, pour visiter ces monstres : Philippines et Indonésie, puis Chine, enfin Inde et Bangladesh.
Je ne peux pas écrire si ça ne rejoint ma géographie intérieure. Un an déjà que je voyage en Asie du Sud-Est, et j'ai visité plusieurs villes : Hanoi, Saigon, Phnom Penh, Rangoon, Singapore, Kuala Lumpur, et aussi l'énorme Bangkok. Mais je n'avais pas encore réussi à en {écrire}, vraiment. Je n'avais pas trouvé l'accroche au pays intérieur. Puis un mot a refait surface, que j'avais déjà ruminé il y a longtemps, en référence à la ville : {massif}. Parce qu'on ne peut approcher le dehors que depuis le dedans, par expansion, et dans mon dedans, hérité de l'enfance, il y a les massifs des montagnes. C'était ça, le gigantesque, pour moi enfant. Les immenses masses des montagnes, sur quoi je vivais sans comprendre.
Les villes de masse, les villes hyper-populeuses, dures aussi, et brutes, je les appelle {massives}. Cette série en voudrait dessiner la géographie. On cherchera le massif partout où il se présente, à partir d'une impression, d'une vision, d'une convergence ou d'un mouvement de foule, d'un bâtiment ou d'un geste seul. Une écriture dans l'instant, une écriture qui ne se sait pas d'avance, construisant la ville sur {site}, ici dans l'Internet, via la tablette avec clavier, dans les cafés des villes même.
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À vol d'oiseau, on croirait pouvoir embrasser la masse de ses bras, comme le font les ailes de l'avion. Ces villes il faut les aimer pour les approcher, même si elles nous font peur. Et même leur très grande imperfection, et leur brutalité, et la violence de leur accumulation. Et même leur étrangeté, et leur gigantisme -- les aimer.
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