Livreur à vélo bras droit levé transversal comme jésus
Précipité
...assis à une table dans un resto-bar à manille, le bar où tous les soirs j’allais, où je descendais deux ou trois san miguel en mangeant un morceau de poulet trop frit, le bar où il y avait des bar girls, il y a toujours des bar girls dans les bars de manille, tous les bars de manille sont des girlie bars, en tout cas tous les bars où il y a des étrangers, et une fois ou deux on avait essayé de m’accoster, mais comme je voulais pas et j’avais pas envie de faire semblant je m’étais fermé, une fille elle m’avait carrément pointé son amie genre you want her?, et moi j’avais fait non de la tête, et alors elle elle m’avait appelé mr cold,
la plupart du temps je mangeais seul, je passais le jour seul à marcher et à prendre des photos et écrire et le soir je mangeais seul, quand je voyage pour le fun je rencontre des gens presque chaque jour mais quand je suis dans l’écriture je m’engonce, et même le soir crevé en buvant mes bières je suis pas très ouvert à rencontrer, j’ai pas le cerveau à ça, ou bien on parle ou bien on écrit c’est ça que je me dis,
dans le bar il y avait des philippins et aussi pas mal d’étrangers, c’était un endroit pas cher sur adriatico la grande avenue qui traverse le quartier à touristes et à girls, c’est là aussi qu’on trouvait les lits les moins chers en ville alors je dormais là et je mangeais là et j’écrivais là aussi souvent dans le café the coffee bean and tea leaf parce qu’il y avait la clim et l’internet,
et dans ce bar il y avait aussi des enfants qui passaient aux tables et qui mendiaient et qui vendaient des trucs, des fois ils se faisaient foutre dehors et alors ils pouvaient rester à côté sur le trottoir à te regarder et patienter et espérer pendant une heure c’était une torture,
et sur les trottoirs des corps couchés, de jour comme de nuit des gens vivant là, des kids tout nus, des familles entières, sur les trottoirs et sur les places, comme ça manille,
et dans la rue des scooters des jeepneys des autos des pick-up des vélo-taxis, ce gars-là surtout je me rappelle chaque soir je le voyais, c’était pas un taxi c’était un livreur, soudé sur le côté de son vélo un charriot pour transporter des trucs, et le charriot il avait une espèce d’armature au-dessus, une barre transversale en hauteur et c’est de ça que je me rappelle surtout :
le gars comment il aimait quand il pédalait faire reposer son bras droit sur la barre transversale, comme il était grand sa tête et ses épaules dépassaient au-dessus de la barre, son bras en angle droit, il avait les cheveux longs et toujours en torse le gars et maigre et tendu et tanné et alors il ressemblait à jésus le gars avec son bras comme crucifié à angle droit sur l’armature du charriot,
mais il pédalait le gars il arrêtait pas de pédaler, et chaque soir que je buvais mes san miguel au bar entouré de bar girls et d’assoiffés et d’enfants aux mains sales je le voyais passer au moins une fois sur adriatico le torse nu toujours et le bras étendu transversal et les cheveux longs et le tronc dressé raide et droit et il mettait de l’ardeur à pédaler jésus je crois qu’il aimait son boulot le gars...
Comments