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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Mémoire turquoise

Éclaircissement de la mémoire par variation du bleu au vert clairs



<quote><small>et tout au fond un océan de turquoise polaire virant à l'idée de la couleur


Jacques Réda </small></quote>

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Ce n'est rien de plus qu'une maison turquoise. Mais c'est assez pour qu'elle se démarque en cette ville, où la plupart des murs sont de teintes moins claires (briques brunes ou grises, le plus souvent).


C'était différent à Chefchaouen, au Maroc. Là-bas, on voyait beaucoup de turquoise, aux portes et aux escaliers, entre les murs de chaux blanchis.


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Turquoise est couleur fascinante. Jeune déjà, en dessinant, on aimait en épandre et en prononcer le nom. C'est une clarté qui diffuse à la fois de la mer et du ciel, du sol aussi (puisque c'est de là, du sous-sol en fait, que vient le mot). Elle hésite entre le bleu et le vert (ainsi à Chefchaouen, on voyait davantage du turquoise azur, alors que la maison de Montréal que j'ai photographiée est plutôt viride). Pourtant, on la reconnaît cette couleur, elle nous est familière. Peut-être un spécialiste des couleurs nous corrigerait à l'occasion, mais on s'en fout : c'est une impression intérieure que j'appelle turquoise, elle échappe aux exactitudes.


A-t-elle souvenir de la Turquie, cette couleur, par la pierre dont elle est issue? En tout cas, je vois en elle quelque chose de turc, de byzantin. Pas pour rien qu'elle colore les portes de Chefchaouen aux formes orientales, arrondies.


En Amérique, c'est différent. Ce turquoise a surtout servi à peindre les vieux garages, les {magasins généraux}, les quincailleries anciennes, les balcons et les remises de nos grands-parents. C'est une couleur associée à un monde qui n'est plus. Pourquoi elle était si populaire, alors, cette couleur? C'était une époque où l'on choisissait moins, la couleur de sa peinture comme la saveur de sa crème glacée... C'était comme ça, voilà tout. On en trouve encore parfois des vestiges, à Montréal, dans les commerces qui n'ont pas rajeunis : sur Duluth, un ancien magasin général dont on voit les tablettes turquoises (mais existe-t-il encore?); sur St-Viateur, une vieille charcuterie juive ou polonaise (probablement les deux), peintes de même couleur.


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C'est cette mémoire que reconduit la maison turquoise que j'ai photographiée. Elle est la seule qui soit si claire, si voyante dans tout le quartier (le Nord du Plateau Mont-Royal). On l'a abordée par le côté d'abord, via la ruelle. Sur la corde à linge à l'arrière, une couverture flottait, montrant une grosse tête de loup. Elles sont d'un kitch, ces couvertures, comme les chandails amples aux mêmes motifs. Le turquoise aussi a quelque chose de daté : dans les années 1980, on voyait beaucoup de tricots ou de cotons ouatés turquoises. Maintenant, le kitch est à la mode, dans le Mile-End on se remet à porter des chandails de loup et du turquoise, au second degré en quelque sorte...


Au débouché de la ruelle, on a découvert la façade, turquoise aussi. Au rez-de-chaussée, un magasin de pièces d'auto. Tout à fait le genre de commerce, lié à l'ouvrage, aux outils, à la mécanique, que l'on peignait autrefois en turquoise. Ainsi tout s'ordonne et s'éclaire d'un monde passé, qui reparaît dans toute l'évidence du vert clair. Et en reflet dans la vitrine, à côté des enjoliveurs suspendus, la silhouette de soi-même, photographiant, bientôt écrivant - pour mémoire.


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