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Nicolas Rithi Dion | creuser le point

Ponctum, non-linéarité dans "Aller" et "Rouge fort"


Ce texte a été rédigé pour être lu lors de l'atelier "Écrire au présent" tenu à l'Université du Québec à Montréal le 19 février 2010.

Il a été initialement publié le 20 février 2010, alors que Le dernier des Mahigan était sous Wordpress, et transféré sous nouveau site en Spip le 15 septembre 2011.

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Tiphaine Samoyault suggère quelque part (« le Présent illimité », Littérature, no 125, mars 2002) que la pertinence de la critique du contemporain tient à la possibilité offerte d’observer la littérature en train de se faire. Alors que la critique des écritures passées court le risque d’appliquer sur des processus inachevés et vivants des modèles et des constructions ultérieurement constituées, comme l’unité d’une œuvre, d’un nom, d’une image ou d’un style, la critique du contemporain – et c’est à la fois et sa chance et sa difficulté – a la possibilité d’observer la littérature dans le présent de sa formation. Elle peut ainsi parler des premiers écrits d’un auteur donné depuis les difficultés propres du présent, sans avoir à oublier ou écarter les écrits ultérieurs de cet auteur, ni les discours et les représentations qui les envelopperaient, puisque ni les uns ni les autres n’existent encore.


C’est ainsi qu'on a pu assister, sur Internet, à l’émergence d’une écriture jeune et neuve, forte, qui mérite qu’on s’y arrête : l’écriture de Nicolas Rithi Dion. Émergence rendue visible à travers le blog paesine (récemment interrompu), et à travers le diptyque composé des textes [{Rouge fort}->http://www.publie.net/fr/ebook/9782814502314/rouge-fort] et [{Aller}->http://www.publie.net/fr/ebook/9782814502321/aller], paru sur publie.net en 2009 et auquel je vais ici me frotter.


Ce qui est intéressant, s’agissant de ce diptyque, c’est que l’« en train de se faire », l’inachèvement, le travail continu, ce que j’appellerais en un mot la dimension inchoative de la littérature, cela me semble déterminer en sous-main l’écriture même, son esthétique propre. J’oserais même dire que les textes de Rithi Dion paraissent, à première vue, inaboutis, voire imparfaits. Mais il faut aussitôt se demander si l’imperfection ne réside pas dans le regard de l’observateur – du lecteur –, regard non habitué à ces formes nouvelles qui se cherchent et s’inventent dans le temps présent. Sans doute n’y a-t-il pas ici malformation, mais – je le répète – inchoation, c’est-à-dire commencement, naissance des formes. {Rouge fort} et {Aller} sont les premiers textes longs qu’a fait paraître Nicolas Rithi Dion. On voit s’y former une nouvelle écriture du présent, dans tout l’étonnement de son inchoation, manifestation particulière de la littérature en train de se faire.


Matière et matérialité de l’écriture sont ici inséparables, c’est-à-dire que le substrat et le support de l’écriture vont de pair. Rithi Dion creuse la langue d’une matière neuve, encore inexploitée ou peu exploitée, amassée entre Rosny-sous-Bois, Noisy-le-Sec et Seine Saint-Denis : tours, terrains vagues, échangeurs, autoroutes, boisés, déchèteries, etc., matière emmêlée de noms et de signes, de sensations, et qui vient à la langue sans forme narrative ni représentative prédéfinie. Matière a priori « informe », c’est-à-dire sans forme, et qui demande à l’écriture un effort considérable de construction et d’invention. L’effort exigé commande de tenir sans puiser trop hâtivement dans la banque des formes déjà disponibles, de ne pas surimposer des formes constituées dans l’ignorance du réel à saisir et à interroger. Ainsi la forme romanesque est écartée d’emblée comme étrangère à ce réel des bords de ville et à la matière qu’il suggère à la langue. Pour coller au plus près du réel-source, l’on doit accepter de demeurer à proximité de l’informe, dans cet espace instable et naissant que j’ai qualifié d’« inchoatif ».


Inchoation qui ne détermine pas que l’aspect formel de l’écriture, le rapport du substrat à la forme, mais aussi son aspect matériel, c’est-à-dire son format et son support. En fait, les deux aspects fusionnent parfaitement dans le très simple mot de « carnet », plusieurs fois énoncé dans les textes, plus particulièrement dans le second, Aller, par exemple dans l’extrait suivant :



<quote>ceci qui endosserait cette manière lâche qu’il y a dans les carnets qui permettent, sous couvert de ce nom d’appartenance, cette désignation de – style – pratique et c’est bien là notre moelle sur table, d’éviter les transitions, de couper, d’ajuster à guise, de filer l’erreur, la répétition, renouer sans note explicative d’intention, réceptionner sans biffure les premières vagues de termes, biffurer, ouvrir, placer d’éventuels points comme des relevés géodésiques, mais qui n’est qu’une fausse lâcheté puisqu’il y a une certaine suite interne, une connexion qui serait du temps travaillé, un soubassement jalonné d’éclaircies propres à illuminer voire opérer l’hallucination chez le besogneux, le creuseur d’ombres, dans sa réclame d’éclats, de merveilleux, ou ne serait-ce qu’un petit peu plus d’espace à mûrir. alors ce qui s’apparente au carnet, le départ cent fois recommencé, mille fois renommé, ménage ses propres silences, incruste la matière pour devenir, par plis, un ouvrage, ce qu’il n’a cessé d’être évitant de se le dire autrement dit non plus un pense-bête d’affaires courantes – à traiter –, mais le courant en lui-même. (36-37)</quote>



On lit d’abord cette « manière lâche » des carnets, qui désignerait aussi bien le « style », mot placé, selon l’usage très particulier que fait Rithi Dion de la ponctuation, entre tirets demi-cadratins, « – style – », comme d’en isoler la portée, le style c’est-à-dire la forme esthétique, caractérisée par ce qui est désigné comme évitement des transitions. De fait, en lisant {Rouge fort} et {Aller}, on se sent souvent un peu perdu, on saisit souvent mal ou difficilement les transitions d’une notation à l’autre, d’un fragment à l’autre. Ce sont comme des masses non linéaires qui se déposent devant nos yeux ; plutôt des points ou des taches de couleur que des lignes. Mais on suggère, plus loin dans le même paragraphe, que cette lâcheté pourrait être « fausse », qu’elle masquerait une « suite interne », faite de « temps travaillé ». Alors le carnet, continue-t-on, deviendrait ouvrage, composition tout en plis et en intensités sous-jacentes, en « courant ».


Là où la forme matérielle du carnet est utile et nécessaire, c’est précisément de demeurer inchoative, de permettre de construire le livre à l’intérieur même de l’espace inchoatif. Le carnet, c’est le support où l’écrivain note des mots et des phrases au commencement (c’est le sens même du mot « inchoatif » dans notre langue : « commençant »). Il n’a habituellement rôle et fonction qu’à l’étape préliminaire de l’écriture; au bout du chemin, l’ouvrage fini le remplace. D’où l’importance, l’audace même de ce geste : demeurer dans la forme carnet, bâtir la prose depuis cette forme même, son informe.


Aucun ordre, aucune transition dans {Rouge fort} et {Aller} n’est surimposée. La continuité, si elle existe, travaille au contraire « par en dessous », dans les souterrains de la langue. Le mot « inchoation » vient du grec « choare » qui signifie « faire une fouille », « creuser la terre » (en vue d’établir des fondations). Dans l’extrait cité précédemment, on relève des traces de ce champ de fouille : l’image du « relevé géodésique » notamment, ou l’expression « soubassement », ou encore la figuration de l’écrivant en « creuseur d’ombre ». Symptômes, sans doute, d’une conscience sourde, dans l’écriture, de cet espace inchoatif où la langue, en se recreusant elle-même, fouille dans l’informe pour y chercher des formes neuves, et se refonder partiellement. On devine bien une continuité, un rhizome de canalisations souterraines qui relieraient les unes aux autres les notations séparées des carnets, mais cette continuité est difficilement nommable et concevable, parce qu’elle repose sur des concepts de matière, d’espace et de temps non encore consolidés dans la pensée et dans la langue.


On avancera ici une notion qui, si elle ne dit pas tout du travail de Rithi Dion, nous servira au moins d’outil conceptuel pour tenter un premier corps à corps avec les textes. Il s’agit de la notion de « ponctualité ». Il me semble que le temps ordonnateur de la matière du diptyque, au moins à l’échelle de la notation, du fragment, pourrait être défini comme temps ponctuel, ou temps de la ponctualité.


À ma connaissance, il n’y a que Roland Barthes qui ait proposé une conceptualisation de la notion de ponctualité. C’était, comme on sait, à propos de la photographie, dans {la Chambre claire}, en revenant à l’étymon latin punctum. Le punctum de la photographie, pour Barthes, c’est le détail poignant, le point qui appelle au subjectif et à l’affect : « Le Punctum, écrivait Barthes, c’est ce qui me point ». L’intérêt du punctum de Barthes pour l’approche du diptyque de Rithi Dion tient partiellement à cette présence fantôme de la photographie derrière les textes. L’écriture est une « photo-graphie », une écriture de la lumière, et cette photographie est ponctuelle au sens où elle informe une temporalité non globale, non théorique et non générale, mais locale, relative et individuelle – ponctuelle.


On peut faire dévier le punctum de Barthes vers l’analyse du temps et de la matière de la prose et du récit, tout en préservant la charge sémantique imprimée au concept. De l’écriture de Rithi Dion, on peut dire qu’elle évite toute perspective surplombante sur la matière qu’elle relève. Elle procède au contraire par ponctions localisées dans la trame du réel, dans le tissu de l’hyper-ville. « Ponction » est un terme de chirurgie qui appartient à la même famille étymologique que « ponctuel » et « punctum », et que le Littré définit comme une « opération par laquelle on ouvre une cavité naturelle ou accidentelle pour en évacuer un liquide qui y est épanché ou accumulé ». Définition qui rappelle le « creusement », la « fouille » de l’espace inchoatif, et qui me paraît d’autant plus appropriée que l’espace des micro-récits du diptyque se présente souvent comme cavité, creux ou cuve où drainer la matière. Le prélèvement, la ponction de matière est conçue comme grattage du sol, creusage ou cuvage du terrain, ainsi que le suggèrent ces mots d’{Aller} retranchés d’un paragraphe plus long :



<quote>les tours d’horizon qu’on sait à ranimer prochainement, courses à pied, trains aléatoires, plein champ où tournailler, murs de décharge avec bennes et cagettes, sols très blancs très polarisants avec petits cailloux à compter à ramasser à rejeter, cailloux à frotter son pied dessus pour sentir le sol s’effriter, le grain bouger toute la longueur de la plante du pied, le grain broyé sous chaussures, le plaisir de limer ses semelles, de faire ses galoches à crampons, de râper les ustensiles multiples de la ville, plaisir d’entamer la terre, de la battre de l’entailler de la pointe du pied, plaisir de projeter la terre comme on éclabousse une bassine d’eau, le paysage lui-même compris comme une grande cuvette à placer sur sa tête comme certains fous s’affublent de casseroles dans certains tableaux flamands, de passoires, d’attirails domestiques, n’importe quoi du moment qu’il y ait rajout et protection, paysages qui travaillent la tête, paysages à n’en pas finir son tour de tête, tête à frictionner de paysages (132)</quote>



Les images de la bassine d’eau éclaboussée et du paysage-cuvette, liées directement, et doublement, à la terre et à la tête, à ce travail de « creuseur d’ombre » un peu fou qu’on a déjà évoqué, ces images évoquent obscurément le procédé de ponction de l’écriture. Creux, cavités, cuves de la langue qui ne sont autres que les béances d’une écriture non encore formée au réel qu’elle extorque, qu’elle ponctionne. Il y a une violence inhérente, clinique presque, chirurgicale, dans l’opération scripturale de ponction, à décalotter et à fouiller ainsi le réel immédiat, pour rapporter à la langue un peu de matière en creux.


Chaque nouveau fragment du carnet, pas toujours bien distinct, pratique comme une nouvelle ponction séparée de matière. La ponction est par définition localisée, précise, chirurgicale, autant du point de vue spatial que du point du vue temporel. Je ne parle pas ici de précision géographique ou chronologique, mais de localité esthétique, à même de circonscrire le temps et l’espace en fonction de la sensation, de la perception, du reçu subjectif. Les traces directes de subjectivité sont rares dans {Rouge fort } et {Aller } (à peine quelques « nous », quelques « on », quelques « soi »), et pourtant partout l’écriture est subjective, c’est-à-dire relative. C’est autour de la relation de l’observateur au monde que s’agglomère la matière ponctionnée au réel, dans un espace-temps entièrement déterminé par cette relation. Ainsi cette notation extraite de {Rouge fort} :



<quote>niveau :


fin de journée. remontée mécanique.


en haut du boulevard, vue plongeante et carrefour à deux stops, puis un qui se fout en travers, là, une bouteille à la main, barbe, regard évasif, parole mystérieuse et s'en va. deux jeunes garçons, un aux mollets tendres et fumants, l'autre introverti, se promènent derrière, vers les bois, passent l'entrée ou ce qui délimite une possible entrée. ça n'est pas une forêt avec des hauteurs, rien qu'un peu de broussaille et verdure, terrain ou plateau ouvert là, un peu d'air et la vue.


projeté passé les sapins, poteaux et murs, jusqu'aux maisons du lointain, recroquevillées dans cette couleur chaude de fin de journée vaporeuse, orangée. l'oeil descend en strates pour remonter du fond de cette crevasse.


on observe alors un ciel changé. (60)</quote>



Toute cette vision est déterminée par le point de vue de l’observateur, dans un espace-temps relatif. Perspectivisme et relativisme non nouveaux en eux-mêmes, mais violemment déplacés par l'espèce de « localisme » ou de « ponctualisme » qui en gouverne la temporalité. C’est « fin de journée », moment esthétique circonscrit, partiel. Le sujet lui-même s’efface derrière la relation locale et fractale, n’est plus que mouvement et regard : « remontée mécanique », « œil » qui descend et remonte la crevasse, « on », en soi vide, rempli seulement par l’observation : « on observe alors un ciel changé ».


Chaque notation n’est qu’un point, un punctum dont le lien aux autres points, à l’ensemble, demeure énigmatique, obscur, souterrain. Point de diffraction, encore fragile, qui ne repose sur aucune réalité consolidée, mais sur des mouvements, une trajectoire, une surface, une couleur, une impression, un rêve parfois (voir {Aller}). Le temps de l’écriture notationnelle de Rithi Dion est ponctuel au sens fort, et barthésien : c’est le temps de ce qui point.


Les phrases d’une notation, que l’on devine confusément liées par un même punctum, peuvent emplir une demie page, une page ou encore quelques pages. Mais la notation elle-même peut aussi procéder d’un ensemble de petits points, de petites notes – la notation alors considérée comme aggloméré de notes, comme dans cet extrait de {Rouge fort} :



<quote>notes :


mont de terre élevé sur le terrain


cueillette à trois munis d'une échelle, de deux paniers en osier, l'un portant un chapeau cowboy


vent sec tournant faisant se lever la terre ; poussière


voiture abandonnée blanche au bord de la nouvelle route encore vierge, l'accès interdit


les tours parallèles aux poteaux seuls


un amas de pavés au premier plan ; triangle isocèle entre pavés, cerisier et carcasse automobile blanche


quelques piquets sur bois délimitant une ancienne zone, avec un portail à jamais ouvert, coincé sur une terre pelée


pare-chocs avant échoué devant le cerisier


toute silhouette apparaissant dès la route neuve ; western


dune près de l'A3


aujourd'hui une voiture délaissée au bord de la route, sans savoir comment elle est arrivée là


une cerise même peu mûre rafraîchit puis laisse un goût acre


venant du champ un homme vient grappiller des matériaux dans la voiture, puis repart lentement dans ses terres, en sens inverse (57)</quote>



S’il s’apparente à un certain pointillisme littéraire, ce procédé demeure secondaire et le cède plus souvent à d’autres formes de picturalité. Le punctum de la notation est plus dense, plus profond, plus creusé et plus coloré que le point sautillant et superficiel du pointillisme. D’où ces expressions de couleur qui reviennent : « rouge fort » bien sûr, mais aussi « noir vert opaque », ou encore « rouge vermillon puissant » – couleurs fortes et profondes, qui révèlent la plasticité et la poéticité du paysage, quand la langue en conquiert de haute lutte une parcelle, qu’elle dispose sur la page comme un point, fort de sa ponctualité même.


* * * * *


À préciser, densifier, creuser ainsi le point, on a laissé un peu en plan la question de la continuité, à savoir comment les points communiquent-ils les uns avec les autres. Mais justement, la continuité ne pourrait-elle résider dans le point même, sans appel à la ligne – dans la persistance, voire la permanence de ce temps ponctuel, dans son obstination paradoxale et parataxique?


Le point est brisure, poncture de la ligne, tout comme le présent immédiat est disjointure de la linéarité passé-présent-futur, de la durée bergsonienne. Mais la théorie enseigne que le point, le ponctuel, le présent peuvent persister comme tels et valoir pour l’ensemble du temps, sans avoir à se placer sous la coupe d’une totalité ou d’une linéarité quelconques. Heidegger a pensé l’immédiat présent comme retrait, brisure, discontinuité, disjointure. Dans son texte sur « la Parole d’Anaximandre » intégré aux {Chemins qui ne mènent nulle part}, il écrit :


<quote>le présent n’est que dans la mesure où, déjà, il s’en va de l’ouvert sans retrait et passe outre vers le retrait. Le présent présent séjourne à chaque fois pour un temps. Il séjourne en arrivée et départ ». Ce mouvement de retrait inhérent au présent immédiat, Rithi Dion le pratique dans la prose, l’actualise dans la langue, comme dans ce passage d’Aller où l’on lit : « il faut que les choses s’effacent, dans un lent retirement. on décide, – un lent retirement –, voilà ce qu’on ne nous enlèvera pas, la décision du retrait, sa mise en forme expéditive » (67).</quote>


Que signifie cela, un retrait « qu’on ne nous enlèvera pas », un retrait décidé, obstiné? Comment le retrait même pourrait-il être mis en forme – forme même non définitive, « expéditive »?


Quelques pages après avoir parlé de la disjointure du présent, Heidegger ajoute cette précision :



<quote>Or, comme présent, ce qui séjourne transitoirement peut précisément – et lui seul le peut – en même temps s’attarder en son séjour. L’advenu peut même persister dans son séjour, uniquement pour rester par là plus présent, dans le sens d’une permanence. Le transitoirement séjournant ne veut pas démordre de sa présence. Ainsi il s’expatrie de son séjour transitaire. Il s’étale dans l’obstination de l’insistance. Il ne se tourne plus vers les autres présents. Il s’obstine, comme si c’était là séjourner, sur la permanence du persister.</quote>



Est ainsi pensée, chez Heidegger, la possibilité d’une permanence, d’une continuité dans la discontinuité même. Le présent persiste comme point, dans sa ponctualité propre, c’est-à-dire comme disjoncture, comme poncture. Et c’est la clé conceptuelle qui me servira à ouvrir une dernière porte dans le diptyque de Rithi Dion. De notation en notation, de point en point, on ne passe pas, dans {Rouge fort} et {Aller}, d’un présent à une autre, puisque cela signifierait que les présents se positionnent, les uns par rapport aux autres, comme passés ou comme futurs. C’est chaque fois le même temps, le même présent qui travaille souterrainement, inchoativement l’écriture, en deçà de ses manifestations ponctuelles. La continuité tient à ce présent même, retirement continuellement repris qui détermine la forme transitaire et expéditive des textes. Le présent : voilà ce qu’on « ne nous enlèvera pas », ce dont l’écriture ne démord pas. Temps qui travaille obscurément et obstinément dans la tête, au fond du mental et du rêve; retrait qui s’étire entre ses tirets et persiste sur son encore : « ce – retirement –, on est encore à le rêver » ({Aller}, 67).


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