On avait décidé de faire le tour de la Gaspésie sur le pouce
Fuite mineure
<quote><small> J'ai écrit ce texte la semaine passée, à Carleton, en Gaspésie.
Depuis une huitaine de mois, on roule un spectacle avec les éditions [Mémoire d'encrier->http://memoiredencrier.com/], {Les bruits du monde}, qui rassemble des auteurs de partout : Laure Morali, Joséphine Bacon, Jean Désy, [Ouanessa Younsi->http://ouanessayounsi.blogspot.ca/], Rodney St-Éloi, Rita Mestokosho, Michel Vézina... C'est un groupe ouvert, qui se recompose différemment à chaque représentation.
Maintenant, le projet d'en faire un livre accompagné d'un CD. Pour ça, on m'a demandé un inédit, il y a plusieurs mois déjà... J'avais proposé des trucs, mais je n'étais pas sûr ni satisfait. À quelques jours de l'enregistrement, je suis en Gaspésie, et je sais que je dois livrer un texte dans deux jours. Un matin, je me réveille chez un copain à Saint-Louis de Gonzague, je descends à Carleton, je m'installe dans la nouvelle brûlerie, avec la mer dans les yeux. Je fais des esquisses, je tente des bouts de prose, mais rien ne tient. Jusqu'à ce que je me rappelle ce tour de la Gaspésie, sur le pouce, avec un ami, à l'âge de dix-sept ou dix-huit ans. Vertige, vitesse : tout tombe d'un coup en une heure ou deux.
C'est un tout petit texte, mais important pour moi. Il est dans la fibre de {Vers l'Ouest}, je le sens bien. Mais ce qui a changé : que depuis huit mois je {lis} sur scène. Il y a des phrases de {Vers l'Ouest} que je réécrirais différemment aujourd'hui, parce qu'elles sont trop {écrites}, elles passent mal à l'oral. L'impression, alors, avec "Le tour de la Gaspésie en zigzag", d'avoir trouvé un langage plus simple encore, plus direct.
J'ai enregistré un extrait de ce texte dans le studio de [Florent Vollant->http://www.florentvollant.com/] à Maliotenam, accompagné de la guitare de [Réjean Bouchard->http://rejeanbouchard.blogspirit.com/], et ç'a été une expérience jouissive -- tout comme, au soir, le spectacle {Les bruits du monde} au Salon du livre de Sept-Îles, sur scène avec les copains et avec Florent, Réjean et Kim Fontaine aux instruments.
Le texte paraîtra donc dans un collectif chez Mémoire d'encrier l'automne prochain, avec un CD lecture & musique. Mais je le rends déjà disponible ici. Ainsi qu'un enregistrement sonore du "Tour en zigzag" que j'ai réalisé {maison}, à Montréal, au retour. On expérimente. Parce que la littérature, sa transmission, cela passe aussi par la {voix}.
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<small>Mahigan Lepage, "Le tour de la Gaspésie en zigzag", 2012.</small>
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On avait décidé de faire le tour de la Gaspésie sur le pouce. On avait dix-sept, dix-huit ans et on avait décidé de faire le tour de la Gaspésie sur le pouce. Moi j’avais jamais fait le tour de la Gaspésie, ni sur le pouce ni pas sur le pouce. Et pourtant je venais de la Gaspésie, j’avais grandi en Gaspésie, mais j’avais jamais fait le tour de la Gaspésie, ni sur le pouce ni pas sur le pouce. Maintenant j’habitais dans le Bas-du-Fleuve, j’habitais au Bic et avec un ami de Rimouski on avait décidé de faire le tour de la Gaspésie sur le pouce. On était partis de Rimouski, vers la Gaspésie, sur le pouce. Et sûr que dans nos poches on transportait quelques grammes de verdure, pour fumer sur la route. J’avais un t-shirt, je me rappelle dessus il y avait le logo de Zig-Zag, Zig-Zag c’était le papier qu’on prenait pour rouler nos joints, le logo c’était une sorte de Zouave dessiné en rouge, avec un bonnet genre arabe et une barbe noire et une moustache retroussée, ce papier-là il brûlait moins vite que les autres, pour les joints c’était parfait. C’était un t-shirt Zig-Zag tout blanc avec le logo rouge et noir, je l’avais acheté à Montréal, il était dans mon sac, je le portais pas trop pour faire du pouce mon t-shirt Zig-Zag, ça faisait trop jeune drogué et ça c’est pas bon pour le pouce, donc il était dans mon sac et il y avait aussi des fraises dans mon sac, et puis les fraises ont coulé et ont tout taché mon t-shirt Zig-Zag, et alors moi j’étais dégoûté et j’ai lancé mon t-shirt Zig-Zag dans le fossé, mais mon ami qui aimait mon t-shirt Zig-Zag, tout le monde aimait mon t-shirt Zig-Zag, je l’avais acheté à Montréal, mon ami il l’a repêché dans le fossé mon t-shirt Zig-Zag, pour lui il était pas perdu ce t-shirt Zig-Zag, il a dit que la tache pouvait partir, il a dit que sa mère pouvait faire partir la tache. Moi j’y croyais pas alors je lui ai laissé, mon t-shirt Zig-Zag, je lui ai dit {Prends-le, mon t-shirt Zig-Zag, si t’aimes ça les t-shirts blancs avec une grosse tache rouge de fraise dessus, il est à toi, mon t-shirt Zig-Zag}. Alors le copain il l’a pris, le t-shirt Zig-Zag, celui avec un Zouave dessus, un Zouave à barbe et à bonnet rouge, et à moustache retroussée, il l’a pris le t-shirt et il l’a mis dans un sac de plastique et il l’a mis dans son sac-à-dos et on n’en a pas reparlé du voyage, de mon t-shirt Zig-Zag. C’était un bon copain celui-là et on était partis ensemble sur le pouce autour de la Gaspésie. Quand on est arrivés à Ste-Flavie on savait pas encore si on allait passer par le sud ou par le nord, Ste-Flavie c’est là que la route 132 part dans deux sens différents, t’as le choix d’aller par le sud ou par le nord, mais dans un sens comme dans l’autre c’est écrit pareil 132 Est, 132 Est par le sud, 132 Est par le nord, ça fait drôle 132 Est dans deux sens différents. Alors là on avait décidé qu’on déciderait pas, on avait décidé qu’on laisserait le hasard décider, et on s’était mis chacun sur un côté différent de l’intersection, l’intersection où la 132 part dans deux sens différents, sous le seul feu de circulation de Ste-Flavie, l’ami il s’était mis côté sud, et moi je m’étais mis coté nord, et le premier qui aurait un lift il crierait à l’autre de venir d’accord. Et finalement c’est lui qui avait eu un lift le premier, côté sud et il m’a crié de venir, et moi j’ai traversé l’intersection à la course et c’est comme ça que le hasard a décidé qu’on ferait le tour de la Gaspésie en commençant par le sud. Et on a traversé la vallée de la Matapédia, je connaissais bien la vallée de la Matapédia, parce que j’ai grandi proche de la vallée de la Matapédia et que quand mes parents se sont séparés ma mère est allée vivre dans le Bas-du-Fleuve et mon père est resté quelques années en Gaspésie et moi je suis resté avec lui quelques années en Gaspésie avant de déménager avec lui en Outaouais à l’autre bout du Québec avant de finalement revenir vivre dans le Bas-du-Fleuve mais avant tout ça je vivais encore avec mon père en Gaspésie et ma mère vivait dans le Bas-du-Fleuve avec ma soeur et chaque deux semaines je prenais l’autobus entre Matapédia et Rimouski pour aller voir ma mère et donc je connaissais bien la vallée de la Matapédia. On a traversé la vallée de la Matapédia, et même il y a une dame qui nous a fait monter elle connaissait ma mère, elle nous a déposés juste avant Matapédia, elle allait sur les Plateaux, les Plateaux où j’ai grandi, c’est des montagnes reculées avec des villages et des rangs dessus, et beaucoup de chemins de bois et de coupes à blanc, et des camps de pêche d’Américains au bord des rivières en bas, et puis les villages ils ont des noms comme St-Alexis et St-François et St-Jean et L’Ascension, et les rivières en bas elles ont des noms comme Matapédia et Restigouche et Patapédia et Thomas, et puis le rang où j’ai grandi il s’appelait Pin rouge mais les adultes disaient souvent {Red Pine}. Mais avec l’ami sur le pouce on n’est pas allés sur les Plateaux, on faisait le tour de la Gaspésie, et quand on fait le tour de la Gaspésie on va pas sur les Plateaux, on suit la 132 et la 132 elle passe pas par les Plateaux, elle suit la vallée et puis après elle suit la Baie-des-Chaleurs et puis après elle suit la mer et puis le fleuve et ainsi de suite. On a continué mais le pouce c’était pas facile, on était deux gars et puis on avait l’air un peu délinquants à la limite, parce qu’on avait dix-sept ou dix-huit ans et qu’on fumait de la verdure et qu’on prenait de l’acide et du buvard et puis aussi des champignons, tout ça c’était pas écrit sur notre front mais en même temps c’était un peu écrit sur notre front par la façon qu’on s’habillait et par nos cheveux qui était colorés ou bien décolorés c’est pareil. Et puis quand je portais mon t-shirt Zig-Zag on peut dire que c’était littéralement écrit sur moi que je fumais de la verdure, parce que Zig-Zag c’est un papier pour rouler les joints, tout le monde sait ça. Alors on faisait un peu peur aux vieux, avec notre jeunesse et nos t-shirts et nos cheveux, on faisait peur aux adultes, aux bourgeois dans leurs autos, ceux qui était bien confortablement assis sur leurs sièges rembourrés, alors que nous on était au bord du chemin avec presque pas d’argent et pas d’abri et puis il pleuvait tout le temps cet été-là pendant notre voyage sur le pouce autour de la Gaspésie, il pleuvait tout le temps et on était tout mouillés au bord de la route, à regarder les autos passer et passer et jamais s’arrêter. Et puis en plus l’été d’avant il y avait eu cette histoire de curé qui s’était fait tuer par deux jeunes pouceux, ils en avaient parlé dans les journaux et à la télé et même jusqu’à Montréal, alors les adultes et les bourgeois et les touristes dans leurs autos ils avaient peur de nous, ils pensaient qu’on allait les voler et les kidnapper et les tuer, ou d’autres trucs du genre, alors que nous tout ce qu’on voulait c’était un lift vers Percé. Ç’avait été long se rendre jusqu’à Percé, les lifts qu’on avait ils nous faisaient faire chaque fois des tout petits bouts de chemin, dix kilomètres, quinze kilomètres, trente kilomètres et puis hop on se retrouvait de nouveau au bord du chemin en dessous de la pluie. C’étaient des gens de la place qui nous faisaient monter, les locaux ils étaient moins peureux que les touristes de Montréal, ils se laissaient pas endormir par cette histoire de curé. Une fois il y a un type il nous a fait monter il s’appelait Steve c’était un bon gars, une sorte de rocker ou motard genre tatouages et blouson Harley Davidson, il nous avait invité chez lui pour prendre une bière et fumer un joint de hasch, ç’avait été un petit répit pour nous sur la route, de prendre une bière et fumer un joint de hasch avec Steve dans sa petite maison à l’écart de la 132, on s’en est souvenus longtemps de ce gars, Steve, on en a reparlé souvent après sur la route, de Steve. Parce que la route elle était dure et il pleuvait tout le temps, tout le temps il pleuvait et on faisait du pouce sous la pluie, et on avait pas de parapluie, les jeunes ils ont pas de parapluie, les parapluies c’est pour les bourgeois et les adultes et les touristes, à peine si on avait un petit manteau, et on se prenait la pluie sur la tête et sur les épaules et partout sur tout le corps on se prenait la pluie. Et une nuit on avait monté notre tente sous un pont de la route 132, il y avait un ruisseau et juste à côté du ruisseau il y avait un petit coin de gravier pas trop inondé, on avait monté notre tente sur le gravier et on s’était couchés dans nos sacs de couchage mais avec toute cette pluie le ruisseau il avait monté pendant la nuit, et l’eau elle avait entré dans la tente, et nos sacs de couchage ils étaient tout trempés, et nos sacs-à-dos ils étaient tout trempés, et nos fringues elles étaient tout trempées, alors nous-mêmes on était vraiment tout trempés, et au matin on était retournés sur le bord de la route comme ça, tout trempés et tout ruisselants. Et les autos arrêtaient pas et nous on sacrait contre les autos, on avait un truc c’était lever le pouce quand une auto arrivait et aussitôt qu’elle était passée sans s’arrêter on changeait de doigt, on levait le majeur et hop, on passait du doigt quémandeur au doigt d’honneur en un rien de temps, on était forts pour ce truc-là. Ç’avait été dur et ç’avait été long se rendre à Percé mais on avait quand même fini par se rendre à Percé, je sais pas comment mais on avait fini par se rendre à Percé. Et à Percé il y avait eu du soleil, alors on s’était installés sur une terrasse et on avait déballé nos fringues et nos sacs de couchage et on avait commencé à faire sécher nos affaires au soleil. Et puis on était allés voir le rocher Percé, j’avais jamais vu le rocher Percé, même si j’ai grandi en Gaspésie j’avais jamais vu le rocher Percé. Alors on était allés voir le rocher Percé, c’était quoi le rocher Percé, c’était un gros rocher rectangle et puis il y avait un trou dedans, voilà ce que c’était, le rocher Percé. Le soir on avait trouvé un bon plan pour dormir gratis, on était montés sur la montagne derrière avec des gars qu’on avait rencontrés à Percé et puis on avait campé sur la montagne et le matin on avait eu une belle vue sur la mer et sur le rocher Percé du haut de la montagne. Et puis les gars avec qui on était ils nous avaient parlé d’un autre endroit pas très loin de Percé où on pouvait camper, ça s’appelait la rivière Émeraude à ce qu’ils disaient. Ils nous avaient dit comment y aller, à la rivière Émeraude, en nous montrant sur une carte, et nous ça nous disait bien cette histoire de rivière Émeraude, alors on y est allé, on a fait du pouce et un gars qui nous a pris sur le pouce il était d’accord pour aller nous reconduire à la rivière Émeraude, il fallait sortir de la 132 et prendre un petit chemin de bois. C’était une belle rivière, la rivière Émeraude, et c’était vrai que la couleur de l’eau elle était émeraude ou turquoise ou une couleur du genre. Et puis on a pêché des poissons, à la rivière Émeraude, on avait apporté une canne à pêche exprès, on rêvait avant de partir, on se disait {On va pêcher plein de poissons, en Gaspésie}, on avait même apporté du sel et de la farine pour les faire cuire, les poissons, mais là c’était vrai, ç’avait marché, on avait pêché des poissons et on les avait fait cuire sur un feu de camp, avec du sel et de la farine, et c’était bon le poisson. Et le lendemain on est partis, mais avant de partir on avait arrêté dans le parking, il y avait un petit parking pour ceux qui venaient à la rivière Émeraude, et dans le parking on a trouvé une auto que la portière était pas barrée et on a fouillé dans le coffre à gants et on a trouvé un paquet de cigarettes et on a pris le paquet et on est partis. Il a fallu marcher longtemps sur le chemin de bois de la rivière Émeraude pour rejoindre la route 132, on avait faim et on avait chaud et on avait soif, et puis une fois sur la 132 ç’a été très long encore avant qu’on ait un lift. On était à bout, on était enragés et on envoyait des doigts d’honneur à toutes les autos qui passaient sans s’arrêter. Mais à un moment donné il y a une auto qui s’arrête net sec et qui se met à reculer vers nous, mon ami il dit Yes et il croit que c’est un lift pour nous, mais moi je sens bien que c’est pas un lift pour nous, je sais que cette auto-là on lui a fait des gros doigts d’honneur à plus finir et puis à mon avis le type il revient pour nous donner une volée, que je dis à mon ami. Et comme de fait le type il sort de son auto et il est pas de bonne humeur, et c’est un gros colosse gaspésien, le genre qui vient de Paspébiac mais lui il vient pas de Paspébiac, en tout cas le gars il marche vers nous, et moi je dis à mon ami {Ça y est on va se prendre la volée de notre vie}, et le gars il avance sur nous en criant, et il dit {Arrêtez donc avec vos simagrée, je vas juste à côté, siboire!} voilà ce qu’il dit le type. Et il ne nous frappe pas, et on est surpris, c’est un bon gars, il allait pas loin, il nous aurait bien fait un lift mais il allait pas loin, alors ça l’a fâché de nous voir lui faire des doigts d’honneur, des {simagrées} comme qu’il dit. On l’a échappé belle et le type il est reparti. On a dû finir par attraper un lift sinon on serait encore là aujourd’hui, on a donc attrapé un lift et puis un autre et puis encore un autre et puis on a traversé Gaspé et puis d’autres villages par là-bas et puis des forêts et des bords de mer. Et puis on s’est fait embarqués par une espèce de Winnebago, on était rendus sur le côté nord de la Gaspésie, il y avait des rochers et des vagues et des falaises et on roulait sur la 132 Ouest dans le Winnebago, du côté nord de la Gaspésie. C’étaient des touristes de Montréal dans le Winnebago et ils rentraient chez eux à Montréal et ils pouvaient nous ramener jusqu’à Rimouski, et nous on demandait pas mieux on commençait à en avoir assez de la Gaspésie et de la pluie et des autos qui arrêtent pas. Alors on était d’accord pour revenir avec eux dans le Bas-du-Fleuve. Par contre ils allaient arrêter pour dormir une nuit encore, quelque part sur le bord de la route, dans leur Winnebago. Nous on avait notre tente alors on a dit {Pas de problème, on va monter notre tente à côté de votre Winnebago et on repartira avec vous le lendemain matin}. Et c’est ce qu’on a fait, on a campé à côté du Winnebago des Montréalais, sur une halte au bord de la 132, du côté nord de la Gaspésie. Mais faut dire que ça passait pas trop avec les touristes de Montréal, c’étaient des bourgeois et pas nous, c’étaient des touristes et pas nous, c’étaient des vieux et pas nous, et je pense qu’ils aimaient pas beaucoup notre style, à mon copain et à moi. Et puis en plus le soir dans notre tente à côté du Winnebago on s’est un peu chicanés, mon copain et moi. Ça commençait à faire un moment qu’on était ensemble 24 heures sur 24, alors forcément on commençait à se tomber sur les nerfs, mon copain et moi, et on s’était chicanés sur un truc pas important, mon copain et moi, et dans le Winnebago ils nous avaient sûrement entendus se chicaner. Je sais pas si c’est à cause de la chicane ou parce que ça passait pas trop entre eux et nous, mais en tout cas le lendemain matin quand on s’est réveillés mon copain et moi le Winnebago il était déjà parti, ils avaient filé en douce sans nous les bourgeois de Montréal. On était dégoûtés et on a repris la route dégoûtés et je sais plus comment on est rentrés, le reste du chemin il y a rien à dire, rien de particulier, rien de rien, en tout cas je me souviens de rien, pas de qui nous a fait monter après, pas de combien de temps ç’a pris pour revenir dans le Bas-du-Fleuve. Mon ami il est rentré chez sa mère à Rimouski et moi je suis rentré chez la mienne au Bic et voilà comment on avait fait le tour de la Gaspésie, comment j’avais enfin fait le tour de la Gaspésie. Ç’avait pas été comme je l’avais rêvé, ce tour de la Gaspésie, avec du soleil et du bonheur et du poisson et tout et tout, ç’avait pas été comme je l’avais rêvé ce tour mais ç’avait été {mon} tour de la Gaspésie, mon tour avec de la pluie et des attentes au bord du chemin et des colères et aussi quand même des bons moments chez Steve et sur la montagne derrière Percé et à la rivière Émeraude. Et puis quand on est rentrés mon ami il a fait laver mon t-shirt Zig-Zag par sa mère, celui avec l’espère de Zouave à barbe et à moustache retroussée et à bonnet rouge dans le genre arabe, je dis {mon} t-shirt mais c’était plus mon t-shirt je l’avais jeté dans le fossé et mon copain il l’avait récupéré et l’avait traîné dans son sac-à-dos tout le long du voyage, maintenant c’était {son} t-shirt et il l’avait fait laver par sa mère et sa mère c’était une vraie pro elle avait réussi à enlever complètement la tache de fraise même si le t-shirt il avait passé une semaine au fond d’un sac mouillé avec la tache de fraise. Quand mon copain il me l’a montré tout propre tout blanc mon t-shirt Zig-Zag avec le Zouave dessus j’ai regretté de l’avoir jeté dans le fossé, je l’aimais mon t-shirt Zig-Zag avec le Zouave dessus, mais mon copain c’était un bon copain et quand il a vu la tête que je faisais il me l’a redonné mon t-shirt Zig-Zag avec le Zouave dessus et je l’ai porté encore un bout de temps, je sais pas combien de temps et puis à un moment donné j’ai dû le jeter ou le perdre.
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<small>Photo : enregistrement du "Tour de la Gaspésie en zigzag" au studio [Makusham->http://www.makusham.com/] de Florent Vollant à Maliotenam. </small>
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