Pierres en saillies
Resurgence des pierres et rappels de la terre
<quote><small>Les hommes ramassent toujours une pierre quand ils ont peur. Ils la plantent au milieu d'une lande : c'est un dolmen. Ils la plantent au milieu des sables : c'est un obélisque.
Jean Giono, {la Pierre} </small></quote>
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Pierre. Saillie de la terre. Rappel du dur de la terre. Émerge dans les champs, sur les chemins. Ressurgit si on la ramasse, infiniment.
Enfant, la corvée qu'on disait {ramasser les roches}. C'était sillonner les champs avec un tracteur traînant une remorque, et les hommes et les femmes et les enfants on marchait tout autour, on se penchait, on cueillait les pierres, on les rapportait à la remorque, les y jetait. C'était long, et à recommencer l'an prochain, dans deux ans, après que le soc de la charrue eût ramené à la surface de nouvelles roches.
Éclats de ce qui compose le plus lourd, le plus opaque de la terre : les minéraux durcis. Mais on vit à la surface, dans l'humus, dans le gras, dans ce mort, ce décomposé, ce mou qui est la nourriture même de la vie. Or cette surface est minime et fragile - comme nous. Sans cesse le plus profond, le géologique, le minéral, le sous-sol la menace - tremblements, secousses, failles, volcans ou simplement pierres, rocs.
Pierre est liée au chemin. Les mots "cailloux" et "chemin" chez Francis Cabrel - comme ils renvoient à la marche, à l'expérience du pays foulé. Dans les sentiers, sur les chemins de terre, la pierre est constitutive. Elle n'est pas seulement obstacle : elle compose le chemin, lui donne une structure, permet de marcher sur les ruisseaux... On y bute, mais on y prend aussi appui, indistinctement.
Ce qui change dans la ville : on s'est débarrassé des pierres. Par recouvrir la peau de la terre de substances goudronnées, quasi homogènes. Le béton, l'asphalte sont faits en partie de minéraux, bien sûr, mais d'une pierraille si concassée, si réduite, qu'elle a tout oublié de l'unité et de la cohésion du roc. Asphalte bloque le cycle des roches entre surface et profondeur. Il empêche les resurgences. Il contient la terre.
D'où qu'on remarque les endroits qui ont été oubliés. Comme ce terrain vague, négligés, où s'est recréée, comme sans effort, une scénographie de chemin, de sentier avec roches.
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Quelqu'un est venu et a peint les pierres. Et ce travail, là fait à la bonbonne aérosol, est près, très près de ce qu'ici je tente : colorer ce qui, dans la ville, dans le monde urbanisé, les brise, les choque. Comme [les arbres explosant de couleurs->http://mahigan.ca/spip.php?article122], les pierres sont rappels de la terre. Moins colériques que les arbres, mais plus opiniâtres, inébranlables.
En les peignant, mauve, bleu, jaune, puis en les chromographiant, les faire ressortir, les mettre en relief, dans un monde qui étouffe : [il y a encore le chemin->http://www.publie.net/fr/ebook/9782814504363/il-y-a-le-chemin], et les pierres.
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