Rouge printemps
Une saison en couleur et colère
Et pourquoi on séparerait ce qui relève de l'image, de la phrase, de ce qui serait sismographie des secousses sociales? Le travail est un, qui procède du réagencement des syntaxes du monde, des ordres, des lois : toute écriture non conforme est politique.
Alors se risquer à faire entrer les mouvements de la rue dans la mosaïque de ces autochromes. D'autant plus que les révoltes de ce printemps sont déjà associées à une couleur : le rouge. Couleur de l'arrêt -- de là le symbole issu : carré rouge, comme une sorte de panneau d'arrêt --, du non, du refus. Couleur aussi de la colère, même si on prête parfois à la colère d'autres couleurs (noire, bleu...). Il y a une colère rouge : les animaux, les toreros savent la violence de cette couleur. On est {rouge de colère}. Quelque chose en elle aussi d'un embrasement, d'un éveil. {Rouge printemps} dirait le feu de cette saison qui s'allume.
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Ces autochromes, [je l'ai dit->http://mahigan.ca/spip.php?article257], s'écrivent au présent, au fil des jours. Comment alors faire abstraction de ces signes qui transforment la ville? Partout, aux balcons, sur les murs, aux vêtements, ces carrés rouges qui rappellent le refus commun. Ce n'était au début qu'une question de droits de scolarité -- question non mineure, mais qui laissait encore place à cette polyphonie qui est la démocratie même. Or peu à peu le refus s'est élargi : il y a eu tentative d'étouffement des voix, de répression des mouvements. L'effet a bien sûr été contraire à la visée : la rue depuis se fait plus bruyante et plus voyante encore.
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Je ne crois pas l'image fondamentalement, {mentalement} différente du son. Quand on écrit, les deux sont mélangés, indistincts souvent. Se faire voir, se faire entendre : c'est un seul et même élan de {manifestation}. À la couleur rouge se mêle maintenant le bruit des casseroles. Les gens, les familles sortent sur leur balcon, descendent dans la rue, se regroupent spontanément en un grand tintamarre marchant. Il faut vivre cela pour en sentir le joyeux. C'est une fête. Une fête de refus. Une joyeuse colère. Rouges, les carrés et les bruits.
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<small>Tintamarre de casseroles, Montréal, mai 2012.</small>
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Les marches commencent au crépuscule, au moment où le ciel s'enflamme de rayons dorés. Une photo sans filtre rendrait mal le sentiment qui alors vous prend. Si j'y ai mis du rouge, ce n'est pas pour esthétiser, mais pour rapprocher l'image de l'expérience telle qu'elle se donne : éclatante et forte.
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Feu du soleil couchant et des lampadaires. Rouge des peaux et des drapeaux. On marche et on est libre : longtemps, que je n'avais vu tant d'humains sans peur, marchant à l'encontre de la loi et de la police, sûrs de leur droit. C'est le plus important, sans doute, et pas la {cause}. Combien de temps cela durera-t-il encore, quand le soulèvement se sera apaisé? Longtemps, on voudrait. Il faudrait que quelque chose de ce rouge en chacun reste, comme un tison de colère : pour ça, qu'on écrit.
Pour l'instant on marche avec eux, un tout petit peu en retrait souvent, avec l'appareil en main pour prendre des photos, ou enregistrer la cacophonie. À cela même, il faudrait que chacun se ménage un petit écart, pour rester libre hors le groupe. On ne sait pas. Ça avance et ça pousse, ça se montre. Et par les voix et les images, la colère rouge se diffuse. Les gardiens du même n'en peuvent mais.
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On est triste, presque, de quitter ce rouge printemps. Dans deux semaines à peine, on partira pour [l'Asie->http://mahigan.ca/spip.php?article212], au plus fort du revif de la jeunesse d'ici, jusque là muette et méprisée, et dont je suis. On aura au moins, avant de partir, dans la phrase et dans l'image, accroché des éclats.
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