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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Signes fluorescents

Redoublement de la ville en ses fluorescences de mots


Pourquoi le monde, la ville nous envoient de ces signes, qu'on ne sait déchiffrer?


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Bien sûr, littéralement on le sait. "Poubelle", "Ça part à l'eau" : on a appris jeune à lire les mots, jusqu'à devenir incapable même de ne pas lire. Truman Capote disait lire trop, lire tout : recettes, publicités, [pia-pia->http://www.auxbordsdesmondes.fr/spip.php?article265]... On en est agressé souvent, dans la rue (beau temps qu'on ne regarde plus la télé, où ces agressions sont constantes) : on lit une publicité sans s'en rendre compte, automatiquement, on se ressaisit au moment où on s'avise qu'on est en train de ruminer un mauvais jeu de mots ou un slogan stupide...


Mais là, c'est différent : "Poubelles", "Ça part à l'eau", ce ne sont pas des mantra publicitaires. Ils interrogent notre habitude même de lire les signes, les mots déposés sur les murs et les choses de la ville. Ils nous réveillent de nos pensées automatiques, de notre bavardage intérieur. Nous rappellent à l'acte même de lire, et à celui d'écrire dont il est indissociable.


"Ça part à l'eau" : les linguistes appelleraient peut-être cela un "énoncé performatif". Mais c'est plus compliqué : c'est un performatif qui se nie. L'écriture trace ici son propre effacement. C'est une sorte de jeu d'enfant (ce sont eux, les enfants, qui souvent dessinent sur les murs, et c'est pour cela qu'on leur donne de la peinture "qui part à l'eau"...). N'empêche : on s'en réjouit, quand il est donné à lire dans la rue, sur la surface latérale d'un meuble [jeté sur le trottoir->http://mahigan.ca/spip.php?article130].


L'autre signe est plus simple : "Poubelle". Pourtant il nous paraît inutile. Peut-être a-t-on voulu différencier la poubelle du bac à recyclage? C'est possible. Mais à moi, il renvoyait à l'évidence, à la tautologie du signe superflu. C'est si évident, qu'il s'agit d'une poubelle : autant écrire "être humain" sur le front des gens...


Peut-être c'était à cause de la couleur : c'était le même vert florescent que le "Ça part à l'eau" photographié quelques semaines plus tôt. Le genre de couleur qu'on ne manque ni n'oublie : elle fait osciller en notre oeil, notre cerveau, différentes longueurs d'onde. Elles ont quelque chose de fascinant, ces fluorescences (elles ont été à la mode dans les années 1980, reviennent à présent, comme tant de choses et de [couleurs->http://www.mahigan.ca/spip.php?article153] d'alors). Elles attirent et brouillent le regard à la fois. Elles vibrent au premier rai de lumière, réfléchissent dans la nuit même.


Elles sont la couleur que prend la ville quand elle nous parle. On pense aux enseignes de néon dans les hyper-villes comme Tokyo, tels qu'on les voit dans le film fantasmagorique de Gaspard Noé, [{Enter the Void}->http://www.youtube.com/watch?v=dL0lNGXoP8E]. Elles sont fluorescentes et phosphorescente, performatives et tautologiques. Ce sont cris qui redoublent la ville.


Le fluo est couleur, excitation de la nuit : du commerce comme du délit. Les graffiteurs aussi en font grand usage, leurs bombones aérosols sont pleines de fluorescences. On en voit partout, des graffiti vert fluo. Comme ici : ce {tag} qui ne dit rien que (performativement, encore) le déni de l'interdit.


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