Sur nos têtes et nos toits
Orage soudain, ciel noir, et les pensées qui viennent avec
Peut-on éviter les mots {fins du monde}, {apocalypse}, {déluge}, quand s'abat sur nous une tempête soudaine?
C'était tout à l'heure, je rentrais chez moi par la rue St-Hubert, encore abrité sous les auvents mal vieillis de ce qu'on appelle "la Plaza". Soudain on le sait, tout le monde le sait, que quelque chose va se passer. On le pressent, avant même ses signes les plus évidents, à des changements dans l'atmosphère, comme les chiens aboyant avant que l'orage ne se déclare.
Déjà des grands pans de gris foncé s'épandaient dans le ciel. Un air frais soudain, surprenant, descendait sur la ville. Puis le tonnerre, encore loin, s'approchant.
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Il y aurait un orage. Et les gens couraient comme des poules décapitées, cherchant dans la minute un endroit où s'abriter.
Et moi je sortais mon bidule pour prendre des photos. Je suis de toute façon à deux pas de chez moi, je me disais, et ces prises, dans l'{instant} précédant la tempête, sont rares et précieuses. Si je pouvais rendre en images ce gris virant au noir...
Ces orages sont si brusques, si concentrés, qu'ils oublient des morceaux de ciel. Au loin, au débouché de la rue, le soleil brille encore, très bas dans le ciel d'automne. La rue, enclose entre le béton et le ciel noircis, devient un tunnel, avec de la lumière au bout... Dans ma vision, le débouché lumineux avait beaucoup plus d'ampleur : mon oeil l'isolait, le grossissait, lui donnait une échelle bien plus grande que ce que rendent finalement les images.
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Encore ces notions transcendantes : le tunnel avec de la lumière au bout... On ne s'en sort pas. L'apocalypse, le déluge, la lumière... Se rendre compte du moins de la rapidité avec laquelle on assaille le réel de ces mots, de ces idées toutes-prêtes.
Il faudrait autre chose. Non pas détruire le mystère et la beauté, ni même la peur de cela, mais les faire rebondir sur les murs de nos villes, leur immanence. Orage, tempête : failles dans le quotidien, arrêt dans le mouvement.
Pendant que la grêle tombait, grosse et lourde, avoir vu des voitures s'arrêter de rouler, se ranger. Des piétons se serrer sous les porches, entrer dans les dépanneurs. Soudain le mouvement de la ville, tout horizontal et rhizomatique, est brisé par la chute, par la verticalité ou l'oblicité de la pluie et de la grêle. Les déplacements ralentissent ou stoppent (voitures), ou au contraire s'accélèrent mais en vue d'un arrêt (les piétons ou les cyclistes allant vite vers un abri). On parlera peut-être à ceux que quotidiennement on voit mais ignore. Dans les abris de bus, dans les cafés, sous les porches, on est unis par une même surprise, un même imprévu. On a envie de dire : "Oh, ça tombe!", ou "Wow, c'est la fin du monde!".
Qu'importe après tout ce qu'on dit, et les mots qui viennent. La ville un moment s'est rappelée du ciel, des couches épaisses d'air bougé qui pèsent sur nos épaules. Et la grêle tambourine sur nos têtes et nos toits.
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