Survol des prés salins
Terres humides émergeant rases au-dessus du fleuve mer
<quote><small>les troupeaux sont des nuages sur la plaine insondable
Michel Chaillou, {le Sentiment géographique}</small></quote>
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Ils sont rares, ces prés s'allongeant vers le fleuve salé. Il faut descendre jusqu'au Bas-du-Fleuve, là où le Saint-Laurent est si large et si près de son embouchure que la mer y reflue. Il y a des algues, des phoques, des marées. Ici on dit souvent la mer pour parler du fleuve.
Pourtant ce n'est pas partout, qu'il y a ces prés. Qu'on descende encore un peu (ces expressions, "descendre", "monter", vestiges du temps où [le fleuve était un chemin->http://innutime.blogspot.com/2011/10/la-route-du-bout-du-monde.html]), et il n'y a plus de prés, soit que la route les ait pilonnés, soit que les berges se hérissent en rocs et en monts âpres. Ce n'est que par ici, en tout cas, que j'aie remarqué ce genre de plain étendu entre le fleuve et la route (132) : aux alentours de Cacouna, de Trois-Pistoles, tout juste passé Rivière-du-Loup quand on va vers l'est.
Leur coloris, leur texture sont caractéristiques. Le vert est tendre et humide, le sol semble si meule, qu'on imagine les tracteurs s'y enfoncer (parce qu'on a déjà vécu cela, sur les berges de [l'Outaouais->http://mahigan.ca/spip.php?article146], très différentes mais aussi humides, plutôt marécageuses : voir s'enfoncer les grosses roues du tracteur qu'on conduit, si bien qu'on aurait besoin qu'un autre tracteur nous tire hors du bourbier). Les prés n'ont ici de relief que leurs propres sillons. Ils sont si plats, si bas sous le grand ciel bleu, qu'on dirait qu'ils émergent à peine du niveau de la mer, en sont comme la continuité - un léger renflement terrestre et fertile.
On sait, pour en avoir déjà acheté et mangé, qu'on produit par ici ce qu'on appelle des {herbes salées}, c'est-à-dire un condiment composé d'herbes naturellement salées. Car le fleuve de mer imbibe et sale ces terres. C'est ainsi sans doute qu'il sélectionne les herbes aptes à y pousser : seules croissent ici les végétaux de bord de mer, plus jaunes et tendres que les herbes et graminés durs et secs des hauteurs terriennes. Il paraît qu'on fait même paître des moutons dans ces prés, et que cela donne à la chair un goût naturellement salé. C'est comme si on faisait pousser des herbes sur le fleuve, comme si on faisait paître les moutons sur les eaux; curieux mélange de terre et de mer, qui aurait fasciné Elstir, le peintre de Proust, qui aimait à rendre ces confusions.
En passant par là hier, m'être arrêté pour photographier les oies blanches. Elles mimaient des névés de neige sur les prés, comme elles savent si bien le faire. Puis elles se sont envolées, à leur manière synchrone et constellée, pour aller se déposer plus loin. Il est bien tard, il me semble, pour les oies. Mais on m'a dit qu'elles avaient de plus en plus tendance, dans leurs migrations, à s'attarder dans la vallée du Saint-Laurent, où elles trouvent force nourriture. Elles doivent aimer les herbes salées du Bas-du-Fleuve.
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Tout au loin, derrière, on devinait le commencement des eaux. Le ciel avait cette ampleur qu'il déploie au-dessus des surfaces sans relief. Ces près paraissent si humides, si fragiles, qu'on n'y marcherait même pas. Le regard seulement les survole, aérien comme le ciel maritime et venteux. Et les oies symbolisaient pour moi cette {subtilité} ici du regard, qui ne se pose sur ces prés que pour marcher à petits pas légers, avant de repartir dans le vague du ciel et du fleuve. Et même les moutons alors : on les imaginait légers et cotonneux, flottant et roulant sur les prés - comme les nuages dans le ciel.
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