Ta vie sur pellicule
Une sauvagerie.
2009.
Pour soi-même, on est un film. Pour les autres, on est un kaléidoscope.
Kaléidoscope, ou plutôt, pour chacun, chaque autre, simple fragment kaléidoscopique, n'ayant même connaissance des autres fragments, même si proche, par forme, couleur, ton, ou même recoupant, mais toujours partiellement. Pour les autres, on est un kaléidoscope. Je veux dire : soi du point de vue des autres, je depuis ils, kaléidoscope. Mais chaque autre n'en a conscience, conscience ni cure, occupé qu'il est à se repasser son film, ou mieux, à faire tourner le kaléidoscope, ou mieux encore (peut-être, mais est-ce possible?) rien du tout, plus guère occupé de soi et autre, juste dans le flux du monde (rêve).
Même il est rare qu'on se voit seulement soi comme kaléidoscope, à travers les autres donc, les fragments décomposés et instables inscrits en nous par les autres, je veux dire les autres en nous, ce qu'on en reçoit et accepte, plus ou moins de bon gré, morceaux de toutes couleurs et toutes formes, tous tons, où sans doute, dans les assemblages d'apparence plus unie, on croit se regarder comme dans une glace, et on n'a peut-être pas tort, ce sera notre caractère, notre continuité. Rare donc mais, que l'on se perçoive soi-même dans sa kaléidoscopicité. Et c'est bien dommage, parce que ça vaudrait encore mieux, mieux que ce film qu'on se passe et se repasse, si souvent et si automatiquement qu'on n'en a même plus conscience, pas parfois plus conscience, jamais plus conscience, jusqu'à ce que, et c'est rare donc mais.
Ce film, ce maudit film que je me repasse, que tu te repasses, que vous vous repassez. Et d'un ennui pourtant, pour n'importe qui sauf vous. Là où il n'y a qu'anecdotes, que morceaux d'insignifiance, vous y voyez péripéties et tempêtes. Bon, on ne peut pas vous le reprocher, ce n'est pas cela. Seulement, vous vous faites mal à le regarder, et le re-regarder, ce film. Les événements, les plans même, un à un, séparément, je veux bien, d'accord. Mais ces enchaînements que vous créez dans votre esprit, qui n'ont de réalité pour personne sauf vous, sauf moi, sauf ce moi-réalisateur, mauvais et haïssable, ce moi-monteur qui tient à ce que ces événements, ces plans, ces images tiennent ensemble, et fassent sens, mais sens fermé, sans dirigé, par là, et vas-y que je te pousse!
Combien encore jouissent et souffrent à se repasser leur film, sur un fauteuil de psychologue, un divan de psychanalyste, ou seul à la maison, en voiture, une petite séquence par-ci, une autre petite séquence par-là. Et tralala!
Il faudrait au moins commencer à le décomposer, ce film. Commencer à le charcuter, à le ciseler, à le démonter. Ce serait un début.
Mieux, il faudrait le brûler. Ça brûle toujours bien, la pellicule. De toute façon je le sens, on n'en a plus pour longtemps. Mort bientôt le film, avec le moi. Basta!
Alors quelque chose d'autre à la place, oui. J'ai dit kaléidoscope. C'est banal, et vieux. Mais bon, c'est juste une image. Quelque chose comme ça, quand même. Voilà. Ne plus se percevoir qu'éclats. Faire que pour le soi opiniâtre du futur, sa vie, trop instable, trop brisée, soit jugée malheureusement impropre au montage filmique (désolé).
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